-co co "LO ■ et cette soudaineté dont nous ayons le sentiment dans les rêves, le tableau complet de leur existence, de façon à prononcer eux-mêmes, bon gré mal gré, avant de l'entendre prononcer par une autre voix, le jugement que Frédéric Passt. \quv ont mérité leur conduite et. l'usage qu'ils ont fait de leur séjour ici-bas. Je ne sais pas dans combien de temps ce sera mon tour de faire, avec la clairvoyance incorruptible de l'heure su- prême, ce redoutable examen de conscience; elle ne peut être bien éloignée. Mais, en l'attendant, puisque la "mort semble vouloir encore me laisser quelque répit, je dési- rerais faire au moins un retour sur mon passé intellectuel et essayer de; dégager, en termes tout à la fois siruples et précis, ce qu'il y a d'essentiel, de sain et de vital dans les doctrines dites économiques et dans les théories sociales. Ce n'est pas un livre, je me hâte de le dire, que je. me LA VIE ECONOMIQUE 6 propose de composer, encore moins un traité didactique et dogmatique ; et je ne songe pas à annoncer au monde un nouvel Evangile. Je tâcherai seulement, sans craindre de me répéter quelquefois, pour me mieux faire comprendre, de résumer aussi brièvement et aussi clairement que pos- sible, en l'opposant à ce que je crois erroné et trompeur, ce que je crois vrai, incontestable et salutaire parmi les solu- tions diverses des problèmes d'où dépendent la prospérité ou le malaise des sociétés contemporaines. Ce sera, s'il m'est donné d'y réussir, à côté de mon testament privé, qui est affaire personnelle, mon testament d'homme et de Fran- çais, de patriote et de citoyen de la France et du monde. Puisse-t-il n'être pas, dans sa naïve témérité, trop indigne de ce caractère de haute et universelle utilité publique ! La Vie économique ^-^ ^ U/u6 XM^iy^''0'itJ^ ^^ SAVOIR ET VOULOIU t i' 1' t 1" CELA s'appelle POUVOIH. — t t >>• SAVOIR NE SUFFIT PAS '\- i- -^l" i" A. GRATRY. L* Homme dans le Monde. Ç) ^ JETÉ uu et désarmé au milieu d'un univers inconnu, indiffé- rent ou hostile, comment l'homme va-t-il pouvoir subsister? Il a en lui la vie, force active et capable d'agir autour d'elle. Mais cette force vitale se dépense par son exercice, et même sans s'exercer. Il faut, comme une eau qui s'écoule et tarit si elle n'est renouvelée, qu'elle s'entretienne, et elle ne peut le faire qu'aux dépens de son entourage. C'est ce qui a lieu. L'homme commence par s'emparer, pour s'en nourrir, des fruits sauvages, des graines, des végétaux, des animaux moins forts que lui. Contre les plus forts et les plus redoutables, comme contre les intempéries, il se met à l'abri dans le creux des rochers, sur les arbres; puis, imitant les animaux, ses compagnons ou ses rivaux, et profitant de la configuration de sa main préhensile, il se procure des armes et se fait des outils, pierres, bâtons, massues, épines, lances, flèches et arcs. Il essaye et compare les végétaux et les animaux dont il peut LA VIE ECONOMIQUE H espérer se servir; observe comment fis se reiioiivcllenl cl coiument il est possible de les conserver et de les multiplier; et, peu à peu, se lait tics abris de l'euillage, de roseaux, de bois ou de terre et de ])ierre; se fabrique des vêtements de jx-aux, de feuilles, de jonc ; gratte la terre, sème, récolte, emmagasine; apprend à domestiiiuer les animaux, à perfectifmner les espèces végétales, à s'emparer du poids de l'eau, de la force du vent, de celle de la vapeur, du feu, de l'air, de la foudre elle-même et de l'électricité qui là produit. Et linalcmcnt, tout borné et impar- fait (j,ue reste toujours son pouvoir, il devient le roi elle maître de ce monde extérieur qui semblait devoir 'à jamais l'écraser et qui parfois encore, par de terribles retours, lui fait sentir sa force imi)érissable. Travail, application de la force humaine à l'utilisation ou au désarmement des forces extérieures, tel est donc le secret de la durée et du développement de l'espèce humaine sur le globe. Tout vient du travail et de l'utilisation de ses résultats. C'est ce que nous appelons la production. Production, non pas création, bien que souvent nous employions ce mot (rien ne se tirant de rien), mais transformation, appropriation, mise au poinl, ou, comme le dit le mot lui-même, mise au jour des ■utilités latentes dans les choses. Œuvre immense, œuvre sans fin, pour la(fuelle il faut d'abord observer, puis imiter, savoir, puis vouloir! En sorte que tout est pensée et etï'oi-t. Cette tâche, qui comprend toute l'existence de notre race sur la teiTe, se compose de plusieurs périodes et prend plusieurs formes. Il faut, au début, quand on sait ou croit savoir que telles ou telles choses peuvent être utiles, s'en emparer : cueillir le fruit, ramasser là pierre ou le bois, pêcher le poisson ou abattre le gibier. Il faut, ensuite, de ces choses appréhen- dées, faire usage en lés adaptant à nos desseins, façooner le bois, la pierre ou la terre, débarrasser le sol des^ broussailles, des végétations parasites, des eaux stagnantes ; le dresser, le fouiller, le labourer, lui confier et soigner les phlntes et les semences qu'on veut lui faire nourrir, et, d'un espace inculte ou d'un fouillis stérile, faire un champ, un bois ou un jardin. ■Pour cela, il est évident qu'il est nécessaire de pouvoir s'jemparer de ce qui n'est à personne, et qui, par l'intervention de la pensée et de la main humaines, va devenir à quelqu'un, être approprié. Approprié dans deux sens, qui ne sont, en réalité, que deux périodes ou deux aspects du même fait. Tout est à tous, dit-on, dans l'état de nature, quand la main de l'homme n'y a pas encore touché. A tous, oui, c'est à dire à y LE rnAVAiL porsomic, foiiMiii' Its arlirt-s tU- lal'oi-t'l vit-rp:!'. h-s iiiiiK's cachées et ij,'iioréos dans le sol, et, i)ar coiisétuient, iiidillVit.iit. A personne, en ee sens que personne ne peut, au nnm d'un droit personnel, s'ojtposer à ce qu'un autre s'en empare. A celui donc qui, trouvant les choses inconnues ou délaissées, neutres en d'autres termes, s'en rend maître, parce qu'il a compris l'usatie (|u'il eu peut tirer, et leur fait suhir, dans son intérêt, les niodilicalions ou façons qui les rendront utiles. Travail immense, encore une fois, travail sans lin, mais tra-. vail fructueux s'il est accompli en conformité des lois naturelles qui ]»résideut àson développement. Ce sont les diverses formes .et périodes de ce développement qui, dans les chapitres qui vont suivre, seront successivement étudiées d'une façon en ap})arence un peu irrégulrère et fantaisiste peut-être, mais avec un sincère désir, et non sans quehiue espérance, de contribuer, en éclairant les proMènies vitaux de la vie sociale, à l'amélioration matérielle, intellectuelle et morale de, notre pauvre humanité. •' TOUT VIENT DU TRAVAIL. -;- LE TRAVAIL EST LA LOI DE LA VIE HUMAINE.^- ir ir IL EN FAIT LA BEAUTÉ ET LA MORALITÉ. LABOULAYE. Le Travail. Î5 Ç> Ç) 1 E travail est la loi de l'homme. Il est. à vrai dire, la y. loi universelle. Les substances, minérales ou antres, qui se combinent ou se dissocient, travaillent ; la plante qui puise dans le sol. dans l'air ou dans l'eau les éléments de sa croissance et de sa durée , travaille ; le soleil qui nous envoie ses rayons vivifiants, travaille, et travaillent comme lui les astres sans nombre qui parcourent, obéissaiit à- la direction suprêmC; les champs illimités de l'espace. Mais c'est plus parti- culièrement à l'effort de l'homme. appliqué à l'entretien ou à l'amé- lioration de son existence, par une action intelligente ou supposée LA VI I'J E C(L\'OM IQUE 10 telle, sur les choses, (m'est haliitiK'llciiicnl rosorvé ce nom de travail. Et celte action peut être plus ou moins consciente, plus ou moins heureuse, plus ou moins efficace, mais elle est constante et s'exerce aussi hien dans les conditions les plus élémentaires de la vie sauvage que dans les conditions les plus savantes de la vie civilisée. Cueillir un fruit, ramasser ou arracher une racine, attraper un animal ou s'armer d'un hâton ])our se défendre contre lui, c'est un effort, une dépense de force en vue d'un résultat, un travail. « Tout ce que nous possédons, » a dit Laboulaye, « nous le devons au travail, au nôtre ou à celui de nos semblables ». Le travail, c'est l'emploi de la vie; et tout ce que cet emploi nous fournit est la représentation, imparfaite mais sacrée, de cet emploi de la vie. C'est la marque de la supériorité de l'homme sur les choses, l'incarnation en elles, par l'intermédiaire de sa main, de sa pensée et de sa volonté. Le travail est donc une obligation, à la fois matérielle et morale ; c'est un exercice méritoire, quoique nécessaire, de notre liberté, et il ne nous est permis ni de nous y soustraire ni de l'imposer ou de l'interdire à nos semblables. « Dieu, en don- nant à l'homme des besoins, en lui rendant nécessaire la res- source du travail, a fait du droit de travailler la propiùété de tout homme, et cette propriété est la première, la plus sacrée, la plus imprescriptible de toutes. » Cette déclaration de Turgot sera éternellement vraie, et le devoir comme le droit de tra- vailler restera toujours la loi de l'humanité. Rien de plus faux, donc, et rien de plus injuste, que ce dédain du travail, répudié par les uns, qui ci'oiraient s'abais- ser en travaillant; maudit par les autres, qui se croient humi- liés parce qu'ils sont contraints à travailler. Rien de plus immoral que de considérer le ti'avail comme un châtiment, un supplice ou une condamnation; c'est un honneur et le signe de la grandeur de notre nature. Ce qui est une servitude, un abaissement matériel pour ceux qui le subissent, un crime pour ceux qui l'imposent, c'est le travail conti-aint, le travail esclave, vol de la liberté, vol de la vie, de la sueur, du sang, du temps et de la pensée, écrasement de l'homme 'par l'homme, calcul odieux et trompeur d'un égoïsme inintelligent, qui n'est pas moins fatal à l'oppresseur qu'à l'opprimé. « C'est l'esclavage, '> a dit Rossi, « qui, en faisant du travail le lot d'hommes mépri- sés, a fait mépriser le travail et attaché au fait d'en être ou d'en paraître dispensé une menteuse apparence de supériorité. )> Travail des mains, oeuvre servile ; vivre noblement, vivre sans rien faire. Il A.i LUI DU MUINDIŒ EFFORT C'est presque riiiverso qu'il faudrait dire. C'est le travail qui ennoblit et soutient, c'est l'oisiveté, mère de tous les vices, à commencer par l'ennui, ce « grand hameçon du diable », qui dégrade et(|Mi pervertit : c'est elle (juidévore au lieu de nourrir. La rouille use plus (jue l'usage, et la clé qui sert est toujours claire. TOUTE DOCTRINE OU TOUT ACTE QUI "t" "J" A POUR OBJET OU POUR RÉSULTAT d'aUG- MENTER l'effort EST NUISIBLE; TOUTE DOCTRINE OU TOUT ACTE QUI A POUR OBJET d'Économiser l'effort est utile -f + "t Yves GUYOT. - '^ '^■^ La Loi du moindre ejforh ^ ^ «5 ri:^f a 'HOMME est uu animal paresseux; il cherche toujours à éviter la peine. Or il n'a qu'un moyen d'y parvenir, c'est •^ de s'eu donner davantage; mais avec plus d'intelligence et de prévoyance. Il prend la peine de semer et de labourer pour avoir moins de peine à trouver sa subsistauce. Il prend la peine de se fabriquer un abri iwur éviter la peine d'en chercher un, au hasard, et de n'en point trouver. Il prend la peine d'asser- vir et d'apprivoiser les animaux et de se façonner des chariots et des voitures pour avoir moins de peine à transporter les objets et à se transporter lui-même. Il prend la peine de com- biner et d'exécuter des appareils coûteux et compliqués, de construire des ateliers, de monter des métiers, de mettre eu mouvement des machines, de couper des montagnes ou des isthmes, pour s'épargner la peine de gravir les pentes ou de transborder les marchandises. Et partout le résultat est iden- tique : au prix d'un effort par lui-même improductif, augmenter le résultat de l'effort productif ; donner pour avoir, faire davantage pour avoir relativement moins à faire. Ce sont là réflexions banales et faites depuis longtemps. C'est le fond de mes conférences sur les machines et le résumé LA VIE ECONOMIQUE li de tout renseignement économique ; c'est la rormiiledu progrès pour tout être raisonnable, et, par conséquent, c'est ce que com- battent ces idolâtres de la privation, de la souffrance et de l'effort, ces ennemis de toute amélioration de la condition humaine, qui s'ap])elleut des « protecteurs du travail national» et (jui ne sont que les adorateurs de la routine et les conser- vateurs de la misère et de l'ignorance. J'étais une fois de plus frappé de ces choses en parcourant, il y a quelques années, l'Exposition de Liège. .Et ce n'était pas seulement les grands et puissants engins de la machinerie des chemins de fer et des ateliers qui m'en donnaient la démons- tration, ces gigantesques arbres de couche, ces roues formi- dables, ces irrésistibles laminoirs, ou ces ponts roulants qui transportent sans bruit et sans péril, au-dessus des têtes, des locomotives ou des canons. Ce n'était pas cette électricité qui, substituée ou associée partout et de plus en plus à la force de la vapeur ou à celle des animaux, des cours ti'eau et du vent, accomplit silencieusement les plus rudes besognes. C'était une petite ^machine d'où, moi qui ne fume pas, je voyais avec admiration s'échapper, je pourrais dire s'écouler, un flot continu de cigarettes, qui, mises immédiatement en paquets, se ven- daient, s'enlevaient au prix presque insignifiant de trente cen- times les vingt-cinq. Découpage et gommage du papier, dépôt, sur la petite feuille, de l'exacte quantité de tabac nécessaire pour chaque cigarette, enroulement de ce tabac dans la feuille immédiatement collée, formation enfin des paquets : tout, sans exception, accompli auto- matiquement, en dehors d'aucune intervention de la main humaine N'est-ce pas, en petit, l'idéal : la suppression de plus en plus complète de l'effort, du travail musculaire, remplacé par l'action des forces naturelles, obéissant à la direction qui leur est donnée par rintelligence? C'est non seulement l'allégement, mais l'on pourrait dire la spiritualisation du travail. Et c'est cela que, toutes les fois qu'ils le peuvent, et par tous les détours que leur suggère une diabolique ingéniosité, les prétendus pro- tecteurs du travail ne se lassent pas d'anathématiser et de contrarier. Protecteurs du travail? Oui, du travail inutile ou défectueux, du travail improductif, du travail pénal et, comme le disait Michel Chevalier, « pénitentiaire » : ennemis, ennemis achar- nés du travail utile, du travail intelligent, du travail fécond ; conservateurs de l'effort qui écrase et adversaires de l'effort qui soulage et qui récompense. ,;t PRODUCTION Nationale n pauvre Jaeques Bonluminie, cent vingt ans après la IJév.ilutionde 1789 et la pnlelanialion desDroils de l'honinie, pdur t'en laisser imposer le joug liuiuiliant, et renoncer au premier de tous les droits, celui de faire de ton temps et de ton travail, ou de leurs produits, ce (pi'il le convient! .( Ouaud le travail n'est pas libre, (juand la vente et l'achat ne sont i»as libres », disait le grand démocrate John Briglit, u l'homme n'est j as libre. » « I a prtniière des liberté. » disait de son côté Lamartine, « c'est la liberté des dix doigts de la main. » LA VALEUR EST LE RAPPORT '\; t t t DE DEUX SERVICES ÉCHANGÉS, l' t i' t ^ . BASTIAT. (^Cû^iff^ Production. u//,^^ ft*»«.^>^ IE but du travail, c'est la production, c'est-à-dire l'obten- tion de ressources, de jouissances ou de forces que l'on -^ n'avait pas. Mais ces ressources et ces forces au moyen desquelles il soutient ou accroît sa vie, avons-nous dit, rhomme les crée-t-il, à proprement parler, les tire-t-il du néant? Evidemment non. Les choses préexistent, avec leurs qualités et leurs propriétés diverses, et il n'est au pouvoir d'aucun être, quelque supérieur qu'on le suppose, d'y ajouter ou d'en retrancher un atome. Mais il peut, en usant plus ou moins heureusement des forces qui sont en lui, s'en emparer, si elles sont à sa portée, comme le fruit qu'il n'a qu'à cueillir, soit les aller chercher là où elles sont ou les en faire venir, par les soins de ses semblables , moyennant un service correspondant, soit en modifier les apparences, la forme, la consistance, les qualités et les actions ou réactions, de façon à en faire, . en réalité, des choses nouvelles et à faire appa- raître, sans que rien au fond ait été changé dans l'essence intime de ,la[ substance, des corps différents, douésde propriétés, bienfaisantes ou malfaisantes, jusqu'alors latentes. Déplacer, combiner, décomposer, c'est-à-dire, encore une fois, faire LA VIE ECOSOMÎQUE 14 apparaître, c'est, en fin de coin])le, à rela (jne se réduit ce (|u'()ii ai>pelle la i»ro(luction, et tel est prcciséineiit le sens primitif, le sens étynu)logi(iue du mot. Produire, c'est tirer de l'oiiiln-e à la lumière, amener, présenter. La moisson de l'année prochaine existe en puissance dans le blé de la dernière récolte. Je mets ce blé en terre pour qu'il lève et mûrisse ; je le produis. La houille est enfouie dans le sol, je l'en tire et la livre à l'indus- trie ; je la produis. Le feu est enfermé, avec la lumière, dans les corps combustibles ; je l'en fais jaillir ; je le iiroduis. Le coton, la laine, le caoutchouc ne se trouvent que dans des régions éloignées de celle que j'habite. Je les en fais venir en allant les y chercher, ou en rétribuant par un service équiva- lent les services que me rendent ceux qui m'évitent un dépla- cement personnel; je les produis. Avec du métal, je fais des outils, avec du bois des meubles, avec des pierres et du plâtre une maison, avec des textiles des étoffes ; je les produis. Et ces choses, quelles qu'elles soient, n'étant amenées à l'état nouveau que je leur donne que par une série de travaux, par une dépense de temps et de peine, il est naturel, lorsqu'elles sont arrivées à l'état définitif sous lequel je me propose de les vendre ou de les employer à mon usage, que je trouve dans le service qu'elles me rendent, ou dans le prix des services qu'elles rendent aux autres, l'équivalent de ce qu'elles m'auront coûté et, comme on dit, le remboursement de mes frais de production. Si, d'une manière générale, il en était autrement ; si, faute d'acquéreur, et d'acquéreur disposé à m'indemniser de mes débours et de ma peine, mes produits me restaient pour compte, je me garderais bien, évidemment', de recommencer, et j'exer- cerais dans une autre direction mon activité, ou me condam- nerais au repos. Les choses, donc, ne valent point par elles-mêmes, par leur nature et indépendamment de l'intervention de l'homme. Gra- tuites, sauf la peine de les appréhender, aussi longtemps que la pensée et la main de l'homine ne les ont point touchées, elles valent, c'est-à-dire elles ne peuvent plus être cédées par leur possesseur et acquises par un autre que moyennant rem- boursement, à ce possesseur, des sacrifices qu'il a dû faire pour s'en emparer et les modifier. Et il en est ainsi parce que nous sentons que notre temps, notre peine, notre intelligence, qui sont des manifestations et des dépenses de notre vie, de notre personne, ont de la valeur. Bien des éléments, en fait, entrent dans la détermination de cette valeur: ladépense réelle effectuée par le détenteur des objets ou par ses auteurs, la rareté ou 13 SVHPHODUCTION rabomlance qui, suivant les circonstances, les rend plus ou moins faciles ou dilliciles i\ obtenir, des considérations d'opi- nion, de lautaisie, de caprice, qui feront une même chose plus ou moins désirable et précieuse î\ telle personne ou à telle catégorie de personnes. Mais toujours, bien ou mal api)réciée, c'est avec l'utilité ([ui leur est attribuée, la peine ou dépeni-e, réelle ou supposée, qu'a exijjjée ou ([n'exigerait la recherche, la découverte ou la fa(;ou de la chose désirée qui en motive la valeur. Et c'est le prix plus ou moins haut ou bas qu'il est per- mis d'en espérer tb 1A France produit trop, disaient, il y a trois quarts de siècle, quelques grands industriels Français, désireux -t) de voir fermer plus étroitement à leurs concurrents Anglais ou Belges l'accès du marché national, de notre marché, comme ils l'appelaient. Et de quoi, leur répondait M. Michel Chevalier, la France produit-elle trop ? Est-ce du blé '? 11 y a des Français par centaines de mille qui n'ont jamais mangé de pain ; et il y en a des millions qui n'en mangent pas à leur faim. Est-ce du vin? Il y a des Français qui en boivent trop, à certains jours au moins, peut-être parce qu'ils n'en boivent pas assez tous les jours ; mais il y en a bien davantage qui voudraient en avoir habituellement, à un prix abordable, et qui ne seraient pas des ivrognes. Est-ce de la viande? Combien de Français n'en mangent que rare- ment et en trop petite quantité pour la dépense de force qu'ils LA VIE ÉCONOMIQUE {(> sont obligés «le faire ! Est-ec des vôlemeiils, dos meubles, d^s ustensiles de ménage? Un certain uombre de Français et de Fran(;aises, assurément, sont bien logés, bien vétùs, g-arnissent leurs habitations de beaux meubles et d'objets .d« prix ; mais combien végètent dans des taudis sans jour, sans air, sans confortable et sans. nécessaire! Et »ju'est-ce donc (jue la pau- vreté, à plus forte raison la misère, sinon la rareté ou l'absence des choses utiles ou indis|)ensables à la vie? Ea vérité, c'est que la France , quoique moins pauvre que d'autres nations, est pauvre, très pauvre. Et elle est pauvre pai'ce qu'elle ne produit pas assez, ou parce que, gênée par des mesures qui l'empêchent de demander aux autres nations ce qui lui man(juë, elle est réduite à ce que peuvent lui fournir difectement l'exploitation impartaite de son sol et le labeur de ses bras,. La production de la France s'est accrue,. depuis trois quarts de siècle, grâce aux progrès de la science, de l'industrie et du commerce, et il en a été de même dans le reste du monde. Il s'en faut cependant que la pauvreté, que la misère même, aient disparu. Et s'il est excessif peut-être de dire, avec le savant Russe Novicow, que les neuf- dixièmes des habitants de la. terre ne mangent pas à leur faim, il est incontestable que c'est le cas d'un trop grand nombre encore, et que l'humanité, dans sou ensemble, ne pro- duit pas assez. Il y a pourtant, dit-on, dans les différentes branches d'indus- trie, des producteurs qui ne trouvent pas à vendre leurs pro- duits à un prix convenable ; il y a des moments où le blé reste dans les greniers, les étoffes en magasin, les meubles chez l'ébéniste et le vin chez le vigneron. Oui; mais est-ce par hasard qu'il.n'y ait alors personne à qui ces objets fassent défaut et manque-t-il de gens qui seraient bien aises de pouvoir se les procurer? Ce qui leur manque, ce n'est pas le désir, c'est le moyen de les acheter. Et ce moyeu, ce serait du travail, dont les vendeurs auraient l'emploi, ou d'autres i^roduits, à échanger contre ceux qui leur font défaut, ou de l'ax'gent, obtenu en échange de leurs produits ou de leur travail. Ce n'est pas l'ache- teur qui manque, c'est la possibilité d'acheter. Ce n'est pas la surproduction qui pèse sur.ie marché, c'est l'insuffisance de la production correspondante, ou la difficulté de mettre l'offre du marché national en rapport avec l'offre du marché étranger. En fin de compte, il n'y a pas, et il ne saurait y avoir, sur- production générale, surabondance partout et de tout. Mais il y a souvent rupture d'équilil)re, engorgernent partiel sur tel ou 17 nivisiox DU rnAVAiL tel point, parce (lu'il y a niaii(|ue de circulation et de coiisoiiinia- tioii, c'est-à-dire de uioyeiis de consommer, sur il'autres points. Supprimez les arrêts arliticiels, tes entraves au travail et aux échanges ; laissez chacun travailler, vendre, acheter et consom- mer sans obstacles ou faveurs lé|j:ales ou aduiioistralives, et tout s'équilibrera au bénéfice de tous, . C EST L [1MPUISSANCE.de CHACUN QUI FAIT l.A PUISSANCE DE TOUS* CHACUN SE. 6r»»A^<**^/t*^^U,*V P2SiàîLL^' UN MÉTIEH, TROUVE SON COMPTE '^^^^^ T A TRAVAtLLER pont J.F.S AUTRES, "i" -t ± ' ' PLATON. Division du travail. noranee excusable des conditions dans lesquelles se forment la richesse et d'une déviation du sentiment de justice plus ou moins enraciné au cœur de tous. « (lomme il n'y a ([ue très peu pour tous, » écrivait un jour un homme, pénétré ])ourtant d'achniralion pour la science écono- mi(iue. <( l'admiriihle science du ])aiii ». le Père Gratry, « celui (jui a beaucoup est dans l'injustice. )) (( (^elui qui a Iteaucoup », me permis-je de lui répondre, « est dans l'injustice |iri;iiit à ses besoins, iiiu- ii;iil liicii iikkIcsIc d'aljord de Cl" doiiiaiiu' vajiuc. Mais lorsque crtlo a|»|in)iirial ion, <|ui n'a rien |iris à personne, (jni a lait eonnailre par (|iul(jiies-uns de ses côtés la valeur et la puissance du travail, a tait appaiailre, c'est-à-dire a protlnit. dt's utilités, ces utilités apparliennent à leurs auteurs, et représentent pour enx une portion de l'emploi de leur vie. de leur activité, de leur iiersonne; elles sont, en quehiue sorte, personnalisées, et ne peuvent plus leur être enlevées sans une injustice qui découragerait de les imiter et de chercher à combattre le dénûment primitif tous ceux qui en seraient témoins. « La terre, a dit Rousseau, n'est à personne et les fruits sont à tout le monde ». Soit ; mais cette terre qui n'est à personne, n'a de valeur pour personne ; et les fruits, s'il y en a, et s'ils ne sont pas trop amers, ne peuvent encore être à quebju'un qu'à la condition d'être obtenus d'abord au prix d'un effort, qui n'est pas toujours sans mérite. « Tu me demandes le fruit que j'ai cueilli, l'œuf que j'ai déniché, le poisson que j'ai pris, en me disant que tout est à tout le monde », répondra, et a répondu toujours le sauvage auquel un autre sauvage prétendait dispu- ter sa capture : « C'est mon temi)s, c'est-à-dire une portion de ma vie, que tu veux me prendre. Tu veux avoir sans peine ce qui m'a coûté de la peine. » Un groupe d'hommes occupe en commun un territoire. Ils y vivent misérablement de ce que l'on a appelé de nos jours les droits primitifs : chasse, pêche, cueillette ou pâture. L'un d'eux, ayant remarqué comment certaines graines comestibles se reproduisent, a l'idée de gratter un coin de terre et de l'ense- mencer. Enlève-t-il, eu s'appropriant, c'est-à-dire en appro- priant a l'entretien de l'existence humaine ce coin de terre, quelque chose à ses compagnons? « Nous aimons. » disaient ceux-ci, au témoignage des premiers missionnaires qui ont visité jadis les Indiens d'Amérique, « qu'il y en ait parmi nous qui cultivent la terre. Ils cessent, pendant qu'ils le font, de chasser le gibier, et il nous en reste davantage. » Ils font mieux ; et la légende de la naissance du maïs, que j'ai reproduite ailleurs^, montre qu'ils s'en sont bien rendu compte. Ils apprennent à substituer ou à ajouter à cette jouis- sance primitive, qui n'était qu'une dévastation en commun, une I. Voir mes Causeries du Grand-père. Alcide Picard. LA \ lE kc OXOM lQUE 22 utilisalion productive. Ils tleviciuieiil les i)6res de l'agriculture, les créiileurs de moyens d'existence nouveaux et moins pré- caires, les premiers nourriciers du genre iiumain. n^-' Or, ce qu'ont fait ces sauvages, donnant plus qu'ils ne pre- nâîfnt, et considérés à juste titre, par leurs frères, comme des bienfaiteurs et non comme des usurpateurs, c'est ce qu'a fait et ce arait juste au premier ai»ord ; si juste (|u'il semble dillieile d'y trouver ;\__i;eilire. Ht cependaul i)artout, sous une forme ou sous une autre, la transmission des itiens dès pareuts auxetdants, d'uxie partie do la famille à une autre loutau moins, a été consacrée ])ar lu loi ou par l'usage. (;'est qu'il est impos- sible, et (|u'il sérail injuste et dangereux de méconnaître le lien (lui attache les uns aux autres les membres divers de la même famille ; c'est que les i)arents, en donnant le jour à des enfants, s'obligent à assurer leur existence ; c'est qu'ils tra- vaillent i»our eux, et non seulement pour les nourrir et les élever i>eudant leur enfance et leur jeunesse, mais au delà. C'est que souvent, très souvent, les enfants, sous une forme ou sous une autre, foopèreut à la création, à la conservation de la fortune paternelle, et ({ue, lorsqu'ils n'y ont pas travaillé nuitériellement. ils y ont contribué en inspirant et en entrete- nant chez eux l'activité, l'économie^ la prévoyance; que c'est pour eux. pour leur avenir, que ces parents ont peiné, et que les priver de la satisfaction de laisser après eux, à leurs repré- sentants, ce qu'ils leur ont destiné, c'est les dépouiller par avance "et c'est tarir eu eux la source principale de leur énergie. C'est, en d'autres termes, sous prétexte d'enrichir la société de ce qu'on leur enlève, la priver de tout ce qu'elle aurait natu- rellernent recueilli de l'augmentation de son actif par leur travail. La richesse rayonne, et celui qui la possède ne peut en jouir ([u'à la condition de la dépeiiser. Certains, remarquant que nous ne pourrions rien, pour ainsi dire, sans la collaboration de la société, sans la sécurité dont elle nous fait jouir, les conuiiissances dues aux générations précédentes, ou à nos contemporains, dont nous profitons, et les ressources de toutes natures préparées par d'autres mains que les nôtres, se croient en droit de conclure que la majeure partie, sinon la totalité, du fruit de nos labeurs, devrait reve- nir, après nous, à cette société dont nous sommes les débiteurs. Ils oublient de faire le compte de ce que la société, de son côté, doit aux travaux individuels de ses membres. £t ils ne voient pas qu'en face des héritages personnels, transmis par les individus à leur parenté, et en vertu de ces héritages mêmes, il y a un héritage collectif, dont il est impossible de calculer l'importance, et qui disparaîtrait si l'on enlevait au LA VIE l'XONOMIQUE 26 père «le raiiiille l.i laciilté de travailler non soiilenienl puur lui-même, mais jiuur eeux (jiii lui sont chers. « Mes arrièro-iievcux iik; (lovroiil lx-I ombrage », fait dire La Fontaine à l'octogénaire «[ni plante des arbres qu'il ne verra peut-être ])as grandir : « Cela nièiiie est un fruit que je goûte aujourd'hui. Eh ! quoi, défendez-vous au sage De se donner des soins pour le plaisir d'aulruiP » Non seulement pour le plaisir, mais pour le bien, pour l'en- richissement, pour le bien-être sous toutes ses formes, pour le développement matériel de l'ensemble des générations qui suivront, « Veut-on, » disait l'auteur d'une excellente étude sur La cherté des grains, M. Victor Modeste, « toucher du doigt cette hérédité universelle'? ...... « Su^iposez qu'une de nos industries, celle du verre par exemple, vienne à disparaître. Est-ce au prix d'un million de francs d'expériences et de tentatives que vous la reconstitueriez ?Non sans doute. Eh bien ! jugez par-là du prix de l'ensemble ; et dans cet ensemble, il n'y a peut-être pas un capital, pas un procédé découvert qui n'ait été transmis par un père à son fils, par un donateur à quelque donataire. Triptolème a eu vraisemblablement des héritiers pour sa char- rue, et l'inventeur anonyme du verre pour sa découverte » « Et pourtant à quel prix vous procurez-vous le grain qu'a pré- paré la charrue, le verre, le coton, la laine, le lin, filés, tissés et teints par vingt séries de procédés industriels? »... « C'est que les machines, c'est que les découvertes travaillent pour vous gratuitement ; c'est qu'en même temps que les inventeurs avaient des fils, ils avaient des frères, des parents, dont vous êtes les descendants ; et que la propriété, les capitaux, les fruits du travail et de l'intelligence, sous toutes leurs formes, se souvenant mieux que vous, sans vous, de ces parentés incon- nues, vous ont compris d'eux-mêmes dans l'héritage.... » C'est cet héritage universel que l'on supprimerait en portant atteinte à l'héritage individuel. ^ô-^(î> 27 (:ect respectable, qui très simplement lui remet une aumône plu-; forte que toutes celles qu'elle avait jusque-là recueillies. Et comme elle ne peut s'empêcher de manifester, en le remer- ciant, quelque étonnement et de confesser l'hésitation qui l'avait arrêtée à la porte : « Madame, » dit-il," « si je ne faisais pas servir deux fois les allumettes, je ne pourrais pas vous donner vingt francs ; ils auraient été dissipés en fumée. » J'ai quelque plaisir à appuyer cette anecdote d'un souvenir personuel. J'étais, il y a longtemps déjà, chez une vieille parente dont on allait enterrer la fille. Au milieu de sa douleur, qui était profonie. elle fit une observation à sa bonne pour je ne sais quelle négligence. .« La voilà bien, » me dit un ami de la maison; « elle grondera pour deux sous de braise, et tout à riieure elle fera sans hésiter une grosse libéralité. » Deux ou trois jours plus tard, li bonne vieille adressait à une amie de sa fille, retirée dans une ville de province dont le climat est rigoureux, et de qui les ressources étaient très réduites, un billet de mille francs, avee ces mots : « Voici la mauvaise saison. On a imaginé de nouveaux allume-feux qui sont, paraît-il, très bons^ je vous en envoie un échantillon ». Ma parente n'avait qu'une très modeste fortune, mais elle savait épargner pour elle- même et pour les autres. J'insiste sur ces considérations, parce qu'il court, au sujet des devoirs prétendus des riches ou de ceux qui sont supposés riches, beaucoup d'idées fausses et, par suite, 'dangereuses et injustes. LA VIE ÉCONOMIQUE 30 F.E MO.NKi; .Ni; PHO(;UESSE QUE PAR t t 'ir LA ."-UPÉUIORITÉ DE L'ÉPAIUJjNE SUU LA DÉPENSE. -J- ■:{- -J- -^ -^- -}- "l- -^ -1- -j- COBDEN. Épargner, c'est dépenser. Ci îi Q ^ A vie ne se continue et ne se renouvelle, en se déve- j\ /* ^*^PP^"*' *î"^ par l'épargne. L'arbre, pour grandir, pour &^^ transformer en tronc et en branches ses premières pousses herbacées, a besoin de conserver et d'accumuler, sous leur écorce durcie, les faibles éléments de sa première tige, puis d'y en ajouter d'autres et de former ainsi peu à peu sa puissante charpente. La plante passagère, pour donner son fruit et assurer sa reproduction, doit emmagasiner, dans ses tissus, dans sa racine, qui s'épuiseront ensuite pour les nourrir, les éléments de la tleur et de la graine. Réserve de vie, capital végétal, sans lequel la végétation s'arrêterait et l'espèce dispa- raîtrait. L'homme, de même, pour être assuré de vivre demain, est contraint de garder, si possible, sur le produit de son travail du jour, sur les ressources dont il dispose à l'heure présente, un reliquat qui lui permette d'atteindre l'heure à venir et de la passer, au besoin, si elle se trouve stérile. Petite ou grande, il lui faut une épargne, un capital, un morceau de pain, un abri, un outil. L'épargne, c'est la transmission de la vie. C'est le flambeau sacré qu'il est interdit de laisser éteindre. Elle devrait donc être bénie, recommandée, encouragée ; et tout homme qui, après avoir satisfait honnêtement aux exigences de sa situa- tion, met de côté, soustrait à la dépense courante, et réserve, pour l'avenir, une partie plus ou moins grande de ses ressour- ces, devrait être considéré comme im bienfaiteur de l'huma- nité, accroissant, par une sage prévoyance, le trésor commun dont elle aura la disposition. 11 est bien vu, en effet, d'un cer- tain nombre, et il ne manque pas de proverbes qui célèbrent l'économie et nous apprennent que les petits ruisseaux font les grandes rivières, et que les centimes, en s'accumulant, se changent en pièces d'or. Mais il n'en manque pas non plus pour glorifier la dépense et flétrir, sous le nom d'avarice, l'éco- 31 Ei'Ana.Mai cust depenseh nomio et rt>pai-}j;ne. l/argent est \Ad\., disent les uns, c'est pou-i amasser; l'argent est rond, répondent les autres, c'est pour rouler. Voyez ce hulre, ce grippe-sous, ce Fesse-Mathieu; il est à son aise, il est riche, il pourrait se payer un heau mobi- lier, donner des bijoux à sa femme et à ses filles, fré(juenter les théâtres, les courses, les villes d'eaux. Il vit simplement, va à pied ou prend une voilure sur la place, ne se promène ou ne voyage ((vie pour son agrément personnel et sans étalage, et, finalemenl. il lait des économies et les place jiour augmen- ter ses revenus, au lieu de les répandre autour de lui pour faire aller le commerce. A «(uoi sert-il? Le financier mis en scène par La Fontaine n'a-t-il pas bien raison «luand il dit ; La République a bien affaire De gens qui ne (iépeiiscut rien! Qui ne dépensent rien? En êtes- vous sûrs? Et ue seraient-ee pas, au contraire, ces économes, ces épargneurs, qui dépensent le plus et qui dépensent le mieux? Toutes les déijeuses, sans doute, quelles qu'elles soient, pi'ofitent à quelqu'un, pas toujours pour son bien, car il y a des gains qui ne sont pas seulement malhonnêtes, mais malfaisants et corrupteurs. Mais il y en a qui ne laissent rien derrière elles que des satisfactions passagères ou des repentirs ; et il y en a qui, non seulement sont immédiatement et directement utiles en pourvoyant à des besoins réels et avouables, mais deviennent fécondes en permettant, par de nouveaux travaux, le dévelop- pement du bien-être, de la richesse et de la science. Ce ladre, dites-vous, ue dépense pas ses revenus; il les place? Et pour- quoi les place-t-il ? Pour les accroître en les rendant productifs. Or, comment peuvent-ils être productifs ? Parce qu'ils sont emploj'és à des œuvres utiles et rémunératrices. Parce que, prêtés à des industriels intelligents, convertis en achats d'im- meubles, mis, sous forme d'actions, à la disposition d'une société qui construit un chemin de fer, exploite une mine, dis- tribue l'eau et la lumière à une ville, ils servent à paj^er en salaires aux ouvriers, eu machines, en matériaux de construc- tion, en tuj'aux, c'est-à-dire toujours en salaires, des services rendus à ceux qui deviennent les clients de ces industries diverses. Il ne faut pas — j'essaierai de le montrer en parlant du luxe — pousser le rigorisme jusqu'à interdire à ceux qui peuvent se les permettre toutes les dépenses qui paraissent être de pur LA VIE ÈCONOMKJ VE ' :{2 u.uréineiif . Oiiainl tm liavaille, ou quand on a. travaillé pour se les ])votMirer, (jiicl(|ut's salisi'aclions sonl légiliniçs; c''est la léeonipoiise de Teirort dont leur perspective a été l'aiguillon. Mais t'onibien, en lin de compfe, ?;ont plus bienfaisantes, plus fécondes ces dépenses intelligentes, ces consoninialions pro- ductives ou reproductives, qui sont, en réalité, les perpétuels réenseuK-ucenienls de la vie ! C'est par l'excès de l'épargne sur la dépense que les sociétés, comme les familles, s'enrichissent et s'élèvent ; et que la faculté de dépenser elle-même se raaiu- tienl et-se développe. « I, 'économe, » a dit Adam Smith, c est le fondateur d'un atelier public, qui fournira du travail et des res- sources aussi longtemps qu'il sera maintenu en activité. Le ])rodigue est un insensé qui jette au vent les cendres de ses pères.. » LJ2-CAPITAL EST LE FLEUVE OU LE SALAIRE SE PUISE ; LE TRAVAIL EST l^\. SOURCE OU CEFLEUVE s'alimente, -i- t ! "l' t t COBDEN. Le Capital. ç> «) ENCORE un mot généralement bien mal compris, et dont i"^ il importe, sous peine des plus graves et des plus dan- gereuses jerreurs, de se faire une idée exacte. Demandez au premier venu ce que c'est que le capital. Il y a gros à parier qu'il, vous répondra, et probablement vous vous serez déjà répondn à vous-même, que c'est de l'or ou de l'ar- gent, des billets de banque qui les représentent, ou des titres, avec lesquels on peut s'en procurer ; de la richesse définitive- ment acquise, en nn mot. et grâce à laquelle ses possesseurs se trouvent assurés de leur - avenir, et dispensés, dans une mesure plus ou moins large, du travail, qui est le lot du grand nombre. Puissance redoutable, qui partage l'humanité eii deux classes : les riches et les pauvres, les exploiteurs et les exploi- tés, et permet aux premiers de vivre de la sueur des seconds ! Oui, puissance redoutable, comme toute puissance et toute force, quand il en est fait un mauvais usage ; mais puissance nécessaire, et puissance bienfaisante dans son ensemble, et 3;{ LE CAPITAL tout autre chose, beaucoup moins et beaucoup plus tout à la fois, que ce que vous vous U^urez. c;e n'est pas seulement de l'or, de l'argent ou des valeurs de dénominations diverses; c'est l'ensemble, tout l'ensemble de l'outillaire matériel et moral de l'humanité, le fruit du travail des générations antérieures, et la semence du travail actuel et du travail futur; c'est la sève nourricière, quand elle n'est pas détournée de son naturel et légitime emploi, la sève ascendante du progrès, se répandant comme se répand darfe l'arbre et jus- qu'aux extrémités de ses branches le liciuide qu'il puise dans la terre, à travers toutes les mailles de l'organisme social, et faute du(iuel, lorsque la circulation en est arrêtée ou tarie, le dépérissement ne tarde pas à se faire sentir. L'homme ne peut subsister, avons-nous dit, qu'à la condi- tion de travailler et de travailler utilement, c'est-à-dire de produire. Si cette production est inférieure à sa consommation, il dépérit. Si elle lui est égale, simplement égale, il dure jusqu'au moment où, atteint par l'usure de l'âge, il décline, ou jusqu'au jour où la maladie ou l'accident, en interrompant son activité, le contraignent à disparaître. Si sa production lui per- met de réaliser, sur sa consommation, un excédent, il se trouve, dans une mesure plus ou moins large, à l'abri des éventualités qui le menacent, et pourra, pendant un certain temps au moins, se suiiire sans continuer à se procurer de nouvelles ressources. Il aura, comme la fourmi, une épargne pour son hiver ; iljn'aura qu'une épargne. Qu'il fasse un pas de plus. Que cette épargne, au lieu de la conserver pour le jour imprévu^du besoin, il la transforme en un instrument de progrès ; que, du grain mis de côté pour sa nourriture de demain, il fasse la semence d'une moisson nou- velle; que des jours pour lesquels il s'est assuré de quoi man- ger sans pourvoir 'directement à sa nourriture, il fasse un emploi intelligent et fructueux, se fabriquant des outils, des armes, des filets, qui, au prix du travail actuel, lui faciliteront le travail à venir, de son épargne il aura fait du capital. Et ce capital, ce fils du travail antérieur, qui devient le père d'un travail moins imparfait et plus fécond, il prendra, eu réalité, toutes les formes, et comprendra tout ce que, d'âge en âge, par la pensée, par la main, par l'économie et par la pré- voyance, la succession des générations aura pu réussir à réa- liser et à conserver. C'est, à la lettre, la survivance matérielle et morale des pères aux enfants , et l'armement universel peu [à peu LA VIE kCUNUMHj VI<: :{4 préparé et accru, i)ar le labeur d'Iiicr. pour le labeur «le (Icinain. Soit, (lirez-vous, nous voj^ons bien que si rien n'avait été réservé sur le produit du travail d'hier, pour faciliter le travail «l'aujourd'bui et de demain ; si, par la culture, la reproduction et la multiplication des moyens d'existence, du blé, de la viande, des fruits et des légumes, n'avait pas été rendue pos- sible; si des outils, des machines, augmentant la puissance de la main humaine, n'avaient pas permis la naissance et le déve- loppement des diverses industries par lesquelles s'est améliorée l'existence, nous serions restés et nous croupirions indéfini- inent dans la douloureuse incertitude de cette vie primitive, toujours à la recherche de l'aliment appelé par la faim, et livrés à tous les hasards des accidents extérieurs. 11 n'en est pas moins vrai que la possession de ces outils, de ces machines, (le ces réserves de toutes natures, qui constituent, aux mains des uns, un capital, c'est-à-dire un moyen d'action plus con- sidérable que ceux dont d'autres peuvent disposer, équivaut, pour eux, à une suiiériorité qui les rend maîtres du travail (ju'ils rétribuent, et leur permet, dans le débat qui s'établit entre eux, pour la rémunération de l'emploi du temps et des bras qu'ils dirigent, de fixer arbitrairement les conditions. Le capital, comme on le dit, peut attendre ; le travail ne le peut pas. Le patron, l'entrepreneur, le chef d'industrie ont leur lendemain assuré ; l'ouvrier, qui doit pourvoir, pour lui et pour sa famille, aux besoins de ce lendemain, est contraint, sous peine de succomber, de se contenter de l'indispensable entretien de son existence. La partie n'est pas toujours égale, cela est incontestable. « 11 vaut mieux. » a dit Bastiat, « avoir du capital que n'en avoir pas. » Il vaut mieux avoir des outils, des instruments, des arbres ou des animaux, des provisions dans son grenier que d'en être dépourvu. Mais c'est précisément parce que l'épargne et l'utilisation de l'épargne profitent à ceux qui savent épargner et utiliser qu'il y a des hommes qui s'abstiennent de consom- mer, de vivre au jour le jour en consommant tout ce qu'ils peuvent consommer, et de laisser oisives toutes les ressources qui ont échappé à leur consommation. Et c'est pour cela que, fut-il vrai que le capital se fit toujours la part du lion, il serait toujours à désirer qu'il y en eût. Car, supprimez par la pensée, pour mettre un terme à cette exigence, ce prétendu tyran ; c'est la misère universelle, le dénûment absolu, l'absence complète de travail et de salaire, le retour au primitif et redoutable état .ri LE CAl'JTAL lie nature, la faim, la soif, la lutte impuissante contre les élé- ments et les animaux. Kt jtuis est-il bien vrai (jue le eajiital puisse loujours attendre, ou (|u'il le puisse autant ([u'on se le (i^ure? Attendre, pour lui, e'est plus ou moins rapidement dépérir, et. iinalenient, si cette attente se prolonge, dis[)araitre bien souvent. Le eapital, en réalité, ne dure pas comme on le croit; il se renouvelle; et il ne se renouvelle (|u'à la condition de s'employer. Né du travail, c'est par le travail qu'il s'entretient, se répare ou s'accroît. Le possesseur d'un champ qu'il n'est ])as en état de cultiver par lui-même, n'en peut tirer parti qu'à la condition de le faire cul- tiver, c'est-à-dire d'abandonner à d'autres une partie du produit. Le possesseur d'une maison qui ne l'habite pas, ne peut avoir intérêt à la posséder ([u'à la condition de rendre à d'autres occu- l)ants le service de la mettre à leur disposition, et d'obtenir en échange le service d'une rétribution (jui lui permettra de l'entre- tenir, en même temps que d'en vivre. L'industriel à ([ui ses capitaux et son intelligence ont permis de monter une entreprise plus ou moins considérable, ne peut y trouver son compte que si ses ateliers sont maintenus en activité. S'ils demeurent oisifs, c'est la ruine. Le capital qui dort ne dine pas : il maigrit et s'anéantit. Le capital, donc, ne peut pas plus se passer du travail, c'est- à-dire d'alimenter le travail, que le travail ne peut se passer du capital, c'est-à-dire d'entretenir et de renouveler le capital. Mais une chose est vraie et certaine. C'est que. si le capital peut faire la loi au travail, c'est quand il est rare, c'est-à-dire relativement peu offert et très recherché, et quand le travail, au contraire, est très ofîert. « Le capital, » a dit le grand démocrate Cobden, « est le fleuve où le salaire se puise » : et le travail est la source par laquelle le capital est alimenté. <( Quand deux ouvriers courent après un patron, le salaire baisse; quand deux patrons courent après un ouvrier, le salaire hausse » ^ 1. Voir ma conférence sur La solidarité du Capital et du Travail. *^Tf i..\ vil-: h:cuM)Mitjui': :{G AVEC Sl*X LOUIS, UN HO.MMK DE BONNE CONDUITE PEUT SE PROCURER LA JOUIS- SANCE d'un capital de CENT LOUIS, -f -t FRANKLIN. Intérêt. — Usure. ^ Ci 1ES choses, même les plus utiles et les plus nécessaires, ne sont pas toujours actuellement employées par leurs ^ possesseurs. Je puis avoir récolté plus de blé ou de bois que je n'en mangerai ou brûlerai au cours de cette année; avoir fabriqué un outil dont je n'ai plus besoin ou que je suis capable de remplacer ; posséder une barque qui ne me sert qu'à certaines époques. Un voisin, qui manque de blé pour semer, de bois pour se chauffer, d'outils pour faire un travail pressé ou de barque [pour aller pécher le poisson qu'il voudrait vendre au marché, me demande de lui prêter celui'ou ceux|de ces objets qui lui font défaut. « Soit, » lui dis-je, «[mais tu me les rendras dans un an, [dans six mois ou dans trois, S) selon qu'il en a besoin pour plus ou moins longtemps ou que moi-même je prévois avoir à m'en servir. — « C'est entendu. » — (({Bon ; mais pendant qu'ils seront à ton service, [ces objets que je te prête se fatiguei'ont; ils seront à ton usage, c'est-à-dire qu'ils s'useront pour toi au lieu de s'user pour moi. Ce n'est pas moi, évidemment, à moins qu'il ne me convienne de te faire une libéralité, qui dois supporter cette usure. Tu m'en tiendras compte, et, pour cela, tu me paieras une certaine redevance, soit en blé, en bois, en poisson, en services ou en argent, que nous appellerons le loyer, la rente ou Vintérêt, parce que c'est l'avantage que je trouve à percevoir cette redevance qui me fait trouver intérêt à te con- sentir le prêt que tu sollicites. Cet intérêt, rémunération d'un service, compensation d'un dommage, d'une privation et d'une usure, si tu me le promets librement et après réflexion, c'est, évidemment, que tu penses y trouver ton compte, que tu as, toi, intérêt à me le payer, comme moi à le recevoir, et que le Voir pour ce chapitre la séance du 5 novembre 1888 de la Société d'éco- nomie politique; n° du i5 novembre 1888 du Journal des Economistes et discussion à la Chambre des députés. :}7 INTÉRÊ T. — USURE marclio i\nv nous ((tiicliiniis lilntiiiciil nous parait avaulag-eux à l'un l'onuue à l'aulio. » Il peut arriver, ol il arrive. luallieureusenieiit, (|u»' nous nous trotni>ions ou (jue nous nous laissions tromper, <|u'au lieu de faire équitaldeinent et raisonnablenjent ra])préeialion «lu service rendu et de ce qu'il coûte, le prêteur fasse un placement onéreux ou à perte, ou l'emprunteur une opération ruineuse; celui-ci peut tromper celui-là ou récipnxiuenient. Mais en elle-même, et si elle est conclue librement par des êtres majeurs, l'opéra- tion est non seulement légitime, mais favorable au bon emploi des forces et des ressources ([ui ont besoin de se rencontrer. Le mot usure, dans son sens primitif, n'est que la constatation d'un fait inévitable, la détérioration des cboses au profit de celui qui s'en sert, et le devoir de tenir compte de cette détérioration à celui qui en concède l'usage. Le taux (le l'intérêt est . Plus dv thiw^cv aussi et peut-être plus lie mérite, pour le prèfeur, à prêter à 10"/,,. pour tenter une expérience, dont le succès fera la fortune de celui qui la riscjue, ([u'à prêter à 5 "/o avec une absolue sécurité. D'où il résulte, comme en toute autre matière, que ce qui importe — et l'on pourrait presque dire la seule chose (jui iuïporte — c'est la loyauté et. par conséquent, la liberté du contrat de prêt. On fait très bien de punir connue usuriers — il serait plus juste dédire comme escrocs — les gens qui, par des manœuvres dolosives, en abusant de la crédiilité de leurs dupes, ou en favorisant les désordres de la jeunesse inexpérimentée, consomment à leur profit la ruine de ceux qui s'adressent à eux. On a tort de flétrir de ce nom d'usurier et de punir comme des criminels les gens (jui se bornent à demander, avant de ris- quer leur argent, les garanties que comportent l'état général des affaires et les conditions particulières du prêt qui leur est demandé. Les restrictions légales à ce genre de contrat ne font que le rendre plus difficile et plusonéreux pourles emprun- teurs besogneux, qui, se voyant fermer la porte des honnêtes gens, sont réduits à s'adresser à ceux qui ne craignent point de risquer la prison ou l'infamie, mais les font payer. Ce qui a fait dire à Montesquieu, à Turgot, à Bastiat et à bien d'autres que toute loi contre l'usure est une loi en faveur des usuriers. IL N Y A QUE TROIS MA.MERES DE t t SUBSISTER DANS UNE SOCIÉTÉ : IL FAUT ÊTRE MENDIANT, VOLEUR OU SALARIÉ, t MIRABEAU. Salaire. ON connaît l'I dîner, un jo rence, étend 'histoire de ce curé qui, n'ayant pour son jour juaigre, qu'une poularde de bonne appa- îtendit gaîment la main sur la bête en disant : <( Je te baptise carpe, » et, la conscience rassurée par cette opération, se mit tranquillement à dévorer la viande muée en poisson. Nous en faisons tous autant tous les jours et à tout propos. Il nous suffit de changer le nom des choses ou de le laisser changer par d'autres pour en concevoir aussitôt une opinion différente. LA Vil': ÉCONOMIQUE 'lO Rien do plus curieux, en ce genre, que lu déluveur (jui s'at- tache, pour toute une catégorie de personnes, au mot île salaire, et la honte, la colère ({u'elles paraissent éprouvera l'idée d'être salariées. Qu'est-ce jxiurtanl que le salaire, sinon la rétril)u- tion donnée, par celui (jui reçoit un service, à celui qui le lui rend? Et celait (Uj reconnaître, par un équivalent, le service reçu, n'est-il pas la chose du monde la plus naturelle, la plus universelle aussi':' C.ar nous ne vivons que de services récipro- quement échangés. Quand un homme est payé par moi pour un service, nesuis-jcpas payé par lui i)ar le service qu'il me rend? Un architecte, un huissier, un expert, se déplacent pour constater ou apprécier des faits qui m'intéressent. Je leur paie une vacation. Un médecin vient me voir et me prescrit un remède; c'est tant pour sa visite. Un avocat étudie et plaide une affaire, et l'avoué « occupe » pour moi ; je dois à l'un des frais, et à l'autre, comme au médecin, des honoraires. Un fonctionnaire touche un traitement, un ministre ou un ambassadeur des émoluments ou des frais de représentation; un chef d'Etat a une liste civile ; un acteur reçoit des feux, un professeur un cachet, un écrivain des droits d'auteur, etc. C'est toujours la même chose : un service pour un service, une peine pour une peine, une indemnité ou une rétribution, en compensation d'un avantage. Toute peine, dit le proverbe, mérite salaire. Et ce qui est à souhaiter, ce n'est pas de pouvoir se dispenser d'être salarié; c'est de pouvoir toujours recevoir le salaire auquel on a droit et payer celui dont on est redevable. Je vais plus loin. Même les services que l'on appelle gratuits, alors qu'ils sont libres et non pas imposés — ce qui en ferait une spoliation — les travaux scientifiques ou littéraires, entre- pris à titre désintéressé, par amour de l'art, de la science, de la morale; les fondations charitables, le temps donné à l'assis- tance matéi-ielle de nos semblables, au soin des malades, à l'éducation des enfants, au soulagement des misères de toutes sortes, toutes ces choses, qui se traduisent en sacrifices, en démarches, en dépenses, si elles sont réellement volontaires et sincères, sont j^ayés par le sentiment du devoir accompli, du résultat espéré, du bien que l'on croit faire, et par la satisfac- tion de la conscience. Salaire vain pour ceux qui n'en com- prennent pas la valeur ; salaire réel pour ceux qui l'apprécient, puisqu'il suffit pour les indemniser de ce que leur coûte leur dévouement. Salaire partout, partout légitime, partout respec- table, partout juste lorsque ni la force ni la fraude n'inter- viennent pour en fausser la valeur et le mérite en le restrei- '•I SALAIRE iriiaiit aii-(k'ss(ins (\v ce i|iu' l'iiiirail l'ail k' liliif (iéicil ou en l'élevaiil au-dessus. Le salariat ne disparallra jamais. (»n pcul laire iicaiicou]), par (les eoinliiiiaisous diverses, pour le rendre plus é(|uital)le et plus avantageux, en proportionnant mieux la rétribution à l'effort et au mérite, et nulle forme de paiement ou d'associa- tion ne doit être condamnée à l'avance et absolument ; l'essen- tiel est ([ne la liberté des contractants ne soit pas violée. Mais, le salaire ne pouvant être, en fin de compte, que la part réseï*- vée sur le produit total de l'association du travail, du capital et de l'intelligence, la seule façon sûre d'accroître durablement le salaire du travail est d'accroître le rendement de ce travail; ce à quoi la dii*ection doit comprendre (ju'elle est intéressée et tenue en conscience de s'appliquer. Mais toute guerre au capi- tal on à la direction, considérés comn)e des ennen)is, est absurde et coupable. Et toute prétention d'augmenter arbitrairement le salaire, par esprit de sacrifice et de cfuirité, est vaine, quelque généreuse et respectable qu'elle soit. — Le salaire est parfois hien bas, disais-je un jour, dans un examen des cours municipaux de la ville de Paris, à une jeune ouvrière ; pourquoi le patron ne l'augmente-t-il pas ? — Mais, Monsieur, me Vépondit-elle. cela ne dépend pas toujours de lui. — Ah ! comment cela ? — Il faut d'abord qu'il rentre dans ses frais. Si, par géné- rosité, il se met en perte et va à la faillite, il fermera ses ate- liers, et ses ouvriers se trouveront sur le pavé. Ce sera encore pire que d'être peu payés. Ne rougissons jamais d'être salarié. Tâchons de gagner tou- jours le salaire que nous recevons et de ne jamais rien retenir de celui que nous devons. .^^^ L A V I l'l ÈCOXOMIQUh: M l'hoimmk est un animal qui iait des FRANKLIN. Le Marteau. et si l'on nous proposait de revenir aux cabanes et aux huttes de nos arrière-grands-pères, les paysans dont parle La Bruyère, « ces animaux mâles et femelles, noirs, livides et tout brûlés du soleil », qui goûtaient quelquefois au pain qu'ils avaient semé, nous trouverions la perspective peu engageante. Il n'y a pas pourtant, dans toute la série des InvenTTons, des procédés et des outils que nous considérons comme indispensables, un seul chaçgement qui n'ait été, à son époque, une nouveauté et n'ait inquiété ou dérangé quelqu'un, y- Donc, quand on essaiera non de nous apitoyer sur des souf- ^ **^ frances encore trop réelles, mais de nous faire maudire le pro- ■«- ^ «-^L«».jjgrès de l'outillage humain comme une cause de misère et de dégradation : quand on nous vantera, comme uu âge d'or, ces époques où la châtelaine, dans son manoir, filait le chanvre et la laine, et la paysanne, dans sa chaumièi-e, tissait et taillait elle-même le pauvre bourgeron ou la misérable blouse de son homme ; quand on nous montrera comme une conséquence de l'asservissement de l'ouvrier à la -machine le développement i..\ 17/-: i:(:o.\oMiQUh: w du fléau, soi-disant nouveau, du paupôiisiue ; (|uun(l ou nous répétera sur tous les tons ce cri douloureux de Michelet : « L'ouvrière, mot nouveau, mot impie, qu'aucun .-ige ne con- nut jamais avant le nôtre ! <' rap])elons-nous, sans méconnaitre et sans cesser de coniltattro les imperfections de notre temps, cette déclaration catégori(jue d'un autre historien, l'illustre Macaulay : « Plus on exaniine avec attention l'histoire du passé, plus on voit combien se tronipent ceu.r qui sinuujinent que notre époque a enfanté de nouvelles misères sociales . La vérité est QUE CES MISÈRES SONT ANCIENNES. (Ie QUI EST NOUVEAU, c'eST l'iNTELLKJENCE qui LE^ DÉCOUVHE et l'hu.MANITÉ qui les SOU- LAGE. » Et les machines, instrument et expression de notre empire, toujours imparfait, mais croissant, sur la nature, sont notre arme dans cette lutte incessamment renouvelée contre le primi- tif dénûment. « Je viens de voir l'intelligence humaine dans sa plus merveilleuse splendeur! » disait, en sortant de l'une de nos Expositions, celle de 1856, je crois, notre grand ennemi Ab-El-Kader. SOCIÉTÉ, c'est ÉC HANGE. t t l" -f t BASTIAT. Le Commerce. Ci () ^ Q '•OE sont, à ce qu'il semble, les choses que nous ayons le plus constamment sous les yeux qui devraient nous être le mieux connues. Ce sont souvent, au contraire, celles que nous connaissons le moins bien. A force de vivre enlace d'elles, a remarqué Rousseau, elles nous deviennent indifférentes, et nous finissons en quelque sorte par ne plus les voir, ou nous les voyons imparfaitement, sous certains aspects, qui ne nous en donnent qu'une idée imcomplète et, partant, fausse. Il en est ainsi, entre autres, de la monnaie, dont tout le monde, peu ou beaucoup, se sert, que tout le monde, par con- séquent, '^'croit connaître, et dont bien peu, en réalité, compren- nent bien la nature et le fonctionnement. « Il faudrait », écri- vait un jour un spirituel publiciste, Edmond About, « n'avoir jamais eu deux sous dans sa poche pour ne pas savoir ce que c'est que le billon ». Or il prenait la ^pluine précisément pour l'expliquer, et, a propos du billon, exposait le rôle de la mon- naie, dont le billon n'est qu'un accessoire, bien convaincu que la plupart de ses lecteurs n'en avaient guère idée. Les trois quarts des hommes, y compris les femmes, se figu- rent que la monnaie est la richesse, et confondent volontiers la richesse individuelle de chacun de nous, et iiareillement la richesse collective d'une nation, avec la quantité de monnaie, c'est-à-dire de métal blanc ou jaune, façonné en pièces d'un cer- tain modèle, que possède cet individu ou cette nation. La plupart aussi s'imaginent que ces pièces de métal, qu'ils appellent de la monnaie, doivent leur valeur à la volonté du souverain, Roi, Empereur ou Chef de République, qui en a décrété la fabri- cation, et aux empreintes, signes ou dénominations qui y sont 4îl LA MONNAIE inscrites. Ce sont là aiitaiil ircrreiirs, ot d'erreurs graves et dangereuses >. D'abord la iiiomiai»', telle (pie nous la connaissons, n'est (|u'une très faible partie de la ricliessse, c'est-à-dire de l'en- semble des ressources (jui sie trouvent à la disposition de ses possesseurs. Il n'y en a peut-«Hre pas, dans tout l'ensemble du glohe, pour i)lus de cinquante milliards-. A combien de cen- taines lie milliards peuvent être évaluées les consommations annuelles de l'ensemble des nations ; les produits de l'agricul- ture, de l'industrie, des arts, les échanges de marchandises de localité à localité, de région à région et de continent à conti- nent; combien de paiements, par suite des déplacements suc- cessifs des marchandises et des personnes, sont journellement opérés sans que la monnaie soit matériellement employée pour les elfectuer? On ne les chiffre pas à moins de plusieurs cen- taines de milliards, dans les bureaux des banques et dans ces établissements que l'on appelle des Bourses de compensation, à Londres, à New-York et ailleurs, sans, pour ainsi dire, qu'une pièce de monnaie intervienne ^. Ensuite, ce n'est aucunement, en réalité, le pouvoir public, quel qu'il puisse être, qui fait la valeur de la monnaie ; et la forme ou les empreintes qui la font accepter comme valable ne sont autres choses, de la part de ce pouvoir public, que la constatation de la pureté du métal dont elle est composée et de la quantité de ce métal contenu dans chaque pièce-. La mon- naie est une marchandise comme une autre, acceptée, à raison de certaines qualités qui la rendent particulièrement propre à cet office, comme marchandise universelle et comme évalua- teur commun des autres marchandises. Car toute marchandise est monnaie, comme l'a dit Turgot, puisqu'elle sert ou peut ser- 1 . Voir mon Histoire d'une pièce de cinq francs et d'une feuille de papier. (Alcan). 2. Stock monétaire, d'après les chiffres relevés par M. A. Neymarck. Or 3j!i.4/io.ooo.ooo de Francs Argent. . . . i6.3oo.ooo.ooo « Ensemble . . 50.7Z10.000.000 » 3. Aux Clearing Houses des Etats-Unis, en 1908, 65o milliards. — En Angleterre 3oo milliards. — En France, la Banque de France a, en 1908, payé et reçu en virements 170 milliards. « On peut dire que, sans aucune monnaie, il s'opère des compensa- tions, aux Etats-Unis, en Angleterre, en France et en Allemagne, pour plus de laoo milliards. » LA V IE ÉCONOMKJUh: îiO vir à se pronirer d'autres marchandises ou services. Et toute monnaie, a-l-il ajouté, est d'abord et nécessairement marchan- dise. Roiiiontons, pour nous en rendre bien compte, à l'origine. «. L'homme, » dit encore Turgot, « fait avec la nature un pre- mier commerce, » c'est-à-dire qu'il paie de sa peine, qui est sa monnaie primitive, les satisfactions qu'il arrache à la nature. Le fruit qu'il va cueillir sur l'arbre, le gibier ou le poisson dont il s'empare sont la mai'chandise (lu'il achète, et son tra- vail est le prix qu'elle lui coûte. Il fait un second commerce avec ses semblables. Le chasseur ou le pêcheur livre du gibier ou du jmisson au cultivateur, qui lui livre du blé. Le vigneron reçoit de l'huile en échange de son vin, et réciproquement. Ce que chacun donne, ou ce que chacun fait est la monnaie avec laquelle il achète ce que l'autre lui vend ou fait pour lui : donnant, donnant. Mais ces échanges en nature, ces trocs, comme on les a appelés, ne peuvent suffire, et ne se prêtent pas à toutes les circonstances. Le besoin d'une marchandise commune, pouvant servir à toute heure de paiement, et demeurée entre les mains du vendeur comme objet de compensation actuelle, ou comme gage d'un achat ultérieur, se fait sentir. Et l'on convient ins- tinctivement de reconnaître, comme équivalent des autres mar- chandises, une marchandise déterminée, d'un usage général et d'une conservation tout au moins relative. Ce sont les fourrures, le sel, le blé, le tabac, les clous, les peaux de bœufs ou les têtes de moutons, monnaies imparfaites, malgré leur utilité, embar- rassantes et parfois dispendieuses à conserver, difficiles à appré- cier par la différence d'un échantillon à un autre, et qui constituent, par suite, des gages insuffisants. Il s'est trouvé, heureusement, une autre marchandise, recher- chée, à cause de ses qualités propres, par tous les hommes, relativement rare et, par conséquent, relativement chère, d'une conservation en quelque sorte indéfinie, facile à reconnaître à son poids, à sa couleur et à sa sonorité, se prêtant à la fonte, à' la frappe et à la gravure, s'usant peu en passant de mains en mains, peu ou point altérable aux influences extérieures, et constituant, dès lors, un gage exceptionnellement sûr entre les mains de ceux qui l'acceptent. Cette marchandise, toujours semblable à elle-même, divisible ou réunissable sans difficulté et presque sans frais, c'est l'or et, à son défaut, l'argent. Et de même que, pour nous rendre compte de la quantité et, par con- séquent, de la valeur proportionnelle au moins des marchan- ol LA MONNAIE dises diverses (|ui se pèsent ou se mesurent, nous avons ima- giné de les vendre ou de les acheter par grammes ou kilo- grammes, par litres ou hectolitres, par stères ou autrement, nous avons, dans tous les pays du monde, ta(;onné en pièces il'un poids et d'un titre déterminés les morceaux de métal hlanc ou jaune que nous destinions à nous servir de monnaies habi- tuelles et légales. .Mais ces monnaies, en réalité, nous les échangeons, nous les recevons ou nous les cédons en échange d'autres marchandises, comme celles-ci. à raison de leur valeur intrinsèque, au poids et au titre, et non à raison des signes ou euipreintes dont elles sont revêtues et d'une décision de la puissance souveraine, qui aurait la vertu de leur conférer des mérites qu'elles n'auraient point par elles-mêmes. Quand la loi déclare que tout morceau d'or ou d'argent qu'elle appelle dollar, shilling ou franc, sera re(;u en paiement pour les acquisitions estimées valoir un certain nombre de dollars, de shillings ou de francs, elle ne fait autre chose que déclarer que les pièces émises par le gouvernement, ou contrôlées par lui, contiennent bien réellement une quantité connue du métal monétaire. Quant à la valeur^ qu'auront ces pièces de monnaie par rapport aux autres marchandises, c'est aux acheteurs et aux vendeurs à la déterminer et à s'en rentre compte. Le souverain, comme le disait, au temps de Charles V. l'un de ses conseillers, l'évêque Nicole Oresme. ne fait pas la valeur de la monnaie: 1(11 ne peut que signer icellemouuoie de l'impression honneste. » Il lui donne en quelque façon son signalement et son passeport. Il n'en est pas davantage, par privilège, propriétaire suzerain, au détriment des particuliers. « La'monnoie n'est pas au Prince, » disait encore xN'icole Oresme; « elle est à ceux qui l'obtiennent. » « Si aucun, par travail et sueur de son corps, qu'il était libre de faire et donner ou de s'en abstenir, a acquis icelle nwnnoie, elle est à lui, comme à lui étaient travail et sueur de son corps. » A quoi il faut ajouter, comme je le dis ailleurs, que cette - monnaie métallique, en quantité relativement faible par rap- \ port à l'ensemble des produits et des services qui s'échangent 'entre les hommes, ne suffirait pas à son office si elle devait toujours réellement et matériellement intervenir dans ces échanges. En fait, elle est suppléée, dans le plus grand nombre des cas, par des représentants, sans valeur par eux-mêmes (promesses, effets de commerce, billets de banque) qui ne sont acceptés que parce qu'ils sont garantis par elle, c'est-à-dire par la certitude ou la très grande probabilité tout au moins d'être convertissables à volonté en espèces sonnantes. LA VIE ECOXOMIQUE 'iâ Et c'est poiir(}uoi, quand le crédit d'un purliciilier, ou iiiénie le crédit d'un lllat ]»araissent n'être pas absolument solides, leur papier, (luoi qu'ils fassent pour le faire accepter au ])air. subit nécessairement une dépréciation qui peut aller, dans les cas extrêmes, jusqu'à la nullité complète. C'est ce qui a eu lieu, notanunent, en 1720, pour les billets de la fameuse banque de Law, et, pendant la Révolution Française, pour les assignats. Il convient d'ajouter comme moj^en de se passer du paiement effetif en espèces les procédés de comptabilité, comme les com- pensations, par lesquelles, en annulant, de part et d'autre, les sommes que l'on peut se devoir réciproquement, les paiements, parfois les plus considérables, peuvent n'être plus qu'une ques- tion d'écritures. Mais quels que soient les procédés ainsi employés, et de quelque utilité qu'ils puissent être, il faut bien se garder de les considérer comme permettant de supprimer la monnaie métal- lique et delà remplacer par des billets d'Etat, auxquels il serait donné cours forcé. Il faut toujours, pour que ces billets, quelle qu'en soit la forme, aient cours et soient acceptés, qu'ils aient une valeur et soient garantis par une marchandise valant par elle-même, qui est non seulement leur gage, mais leur mesure. Que siguifieraieut des billets de cent, cinq cents ou mille francs, s'il n'y avait quelque part des réalités qui s'appellent des francs? UN PEUPLE RICHE EST UN PEUPLE QUI EMPLOIE BIEN SON TEMPS. + + t t i' Time is Money. <) <) <^ ^ E temps, c'est de l'argent, disent les Anglais, et ils ont bien ! I raison. Mais l'argent, à son tour, c'est du temps; car pour fc-*-^ s'en procurer, soit sous sa forme matérielle, en lingots ou en parcelles, extraits des roches ou des composés argen- tifères, soit en monnaie, salaires du travail ou en objets de con- sommation, il a fallu commencer par employer ses jours ou ses heures en efforts destinés à obtenir ce métal ou à gagner la rétri- oH LE CREDIT lnitioii ilu ti-a\ ail i[iii !<■ t'oiiniit. Si la joiiiiit'c île travail iiiDyonnc, dans un pavs et à une épixiuo, vaut trois fVaiics, cela .sifi,niHe que juiur oittenir trois lianes d'argent, il faut, eu nioyeiine, dépen- ser une journée île travail. La monnaie première, ou dernière, c'est le temps, ou la vie. puis((ue nous n'avons, en fin de compte, que cela vraiment à nous, et que tout se résout eu emploi de la vie et du temps. « Un peuple riche est un peuple qui emploie bien son temps. » L'n peuple pauvre est un peuple ([ui perd le sien ou le dissiple en bagatelles et en niaiseries. Et, comme un peuple se compose d'individus, cela revient à dire que la première des richesses, pour chacun de nous, c'est le bon emploi du temps. Ne perdons pas le temps, car le temps c'est la vie Qui, sans retour ravie. Vide ou d'œuvrcs remplie, S'écoule à tout moment. porxT d'emprunts, parce que tout EMPRUNT DIMINUE TOUJOURS LE REVENU libre; il nécessite, au bout de t i- QUELQUE TEMPS, OU LA BANQUEROUTE OU l'augmentation DES IMPOSITIONS ■%- TURGOT (Lettre au roi). AVEC CE SYSTÈME, UN PEUPLE NE SAIT -l" -l- JAMAIS RÉELLEMENT OÙ IL VA. i' "1' t' "i' GLADSTONE (A l'occasion de la guerre de Crimée). Le Crédit. Ci Ci Un tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l'auras ; L'un est sûr, l'autre ne l'est pas. AINSI pense, et il a raison, le pêcheur de la fable, mettant dans la poêle, au lieu de le rejeter à l'eau, le carpilloi^qui lui promet de se laisser repêcher à l'état de grosse carpe. Et rhumanité, dans son ensemble, fait de même. Elle vit dans le présent, qui seul existe pour elle, et non dans le passé, qui n'est plus qu'un souvenir, ou dans le futur, qui n'est encore h A VIE ÉCONOMIQU E :i't. (lii'mic l'spiMaïU'e et ne sera jamais peiit-tlic une réalité. Mais elle ne vit pas (jiie du présent : et si le passé ne lui avait pas préparé le présent, si ce présent, en ce (pi'il est, n'était pas animé et soutenu par la préoc(ui)ation de l'avenir, elle ne serait pas ce qu'elle est et ne |)()Mrrait devenir ce(|u'elle deviendra. Aujourd'hui est le Dis dliier et le père de demain. Oui, hier aussi a été le fils d'aujourd'hui, et aujourd'hui est le fils de demain. C'est parce que nos prédécesseurs ont travaillé, et laissé derrière eux des fruits de leur travail que nous sommes ce que nous sommes; mais c'est parce qu'ils ont pensé à nous, qu'ils ont été ce qu'ils ont été et fait ce qu'ils ont tait, et c'est parce que nous songeons à demain, pour nous ou pour ceux qui nous succéderons, que nous travaillons aujourd'hui. Nous mangeons, parceque d'autres avant nous ont semé : nous semons parce que sans cela d'autres après nous, et nous-mêmes demain ne pourrions manger; et c'est cette préoccupation de demain qui nous fait vivre aujourd'hui. Ce n'est pas assez dire. Ce demain qui n'existe pas encore, et qui, par conséquent, ne semble pouvoir nous aider à travailler et à produire qu'en excitant en nous l'activité par l'espérance, il peut aussi (et il le fait dans une large mesure) contribuer à nous fournir aujourd'hui même les moyens de travailler, les matériaux à mettre en œuvre, le capital à enga- ger dans des opérations fructueuses, et le concours de colla- borateurs dont nous avons besoin. Un homme possède un terrain inculte, qu'il veut défricKer et ensemencer. Il n'a ni charrue, ni blé, ni argent pour payer un ouvrier dont le travail lui serait indispensable. Il ne peut rien. Si : il est laborieux, économe, de bonne réputation, et le travail qu'il veut entreprendre sera, selon toute apparence, très rémunérateur. Des voisins, qui. le connaissant, ont con- fiance en lui, lui prêtent une charrue, lui avancent un sac de blé, font pour lui quelques journées, à charge, lorsqu'il aura récolté et vendu son blé, d'être payés convenablement des ser- vices qu'ils lui auront rendus. Ils ont cru en lui. Ils lui ont fait crédit, et s'ils ont eu raison de lui faire crédit, leur confiance, sans ajouter, pour l'instant, une charrue à celles qui existaient, un grain de blé au produit delà récolte antérieure, et un homme au wchiffre des travailleurs agricoles, aura augmenté le travail utile, l'emploi de la charrue prêtée et le rendement du blé emmagasiné. De même à l'infini. Un autre est inventeur, ingénieur, que sais-je? C'est James Watt perfectionnant la machine à vapeur: LE CREDIT Fullou l'appliquant a la iiavin-alion : Slepliensoii iinaginaut sa machine voyageuse, tieslinée à devenir, entre les mains de ses successeurs, le puissant enijin qui relie les ré}j[ions et leurs haiùtants, et. suivant le mot de (iladston, « l'une des grandes navettes de la trame de l'unité humaine ^ » Leurs inventions sont admirables. Nous le savons bien aujourd'hui. Mais, au moment où ils les ont coniques, elles paraissent si merveilleuses que personne n'y veut croire ; et c'est par la raillerie et l'incré- ilulité que les savants eux-mêmes les accueillent. Ils sont d'ailleurs dépourvus île ressources pour tenter utilement la réalisation de leurs hardis projets. Ils auront travaillé en vain comme avait travaillé avant eux. parmi d'autres, le pauvre Denis l'apin, voyant briser, sur la f ulda. par les bateliers du Weser, son premier bateau à feu. Des hommes plus intelligents ou plus généreux que d'autres se rencontrent. C'est Mathieu Boulton, mettant à la disposition de Watt ses capitaux et ses usines ; ce sont les Pease faisant confier à Stephenson la con- truction d'un chemin de fer, et lui fournissant les moyens de construire lui-même, dans ses ateliers, ces appareils que ne comprennent pas encore ses contemporains ; c'est le Chancelier Améi'icain Livingstone qui. après de longs déboires et de cruels mécomptes, met enfin Fulton à même de lancer, sur l'Hudson, son Clennont, baptisé encore par les gens pratiques du nom de « Folie Fulton >\ Ces bienfaiteurs de l'industrie nouvelle qui va révolutionner le monde n'ont pas, eux non plus, ajouté, au moment où ils ont fait crédit aux inventions méconnues, un dollar ou une livre sterling au capital de leur patrie ou de l'humanité : mais, en mettant à la disposition de leurs grands compatriotes désarmés les ressources qui leur faisaient défaut, ils ont provoqué l'éclosion de cette série d'inventions et de progrès, et fait les plus admirables semailles de travail productif et de richesse. Tel est, sous quelque forme qu'il se produise et à quelque œuvre qu'il s'applique, le rôle du crédit. Telles en sont à la fois la grandeur et les limites. £t il importe, en reconnaissant les services qu'il peut rendre, de ne point en exagéi-er la portée et de ne point lui demander, au risque des plus cruels mécomptes, ce qu'il est incapable de donner. De grands travaux considérés, à tort ou à raison, comme d'utilité lîublique. paraissent nécessaires. Mais, pour les 1. Voir Le Petit Poucet du XIX siècle. Hachelte et Cie. fA VIE KCnNOMlQVE 'M\ exécuter, il faiil dos somiues considérables, l'ciiiploi et lu rétrilmlioii, pendant de longs mois, d'une multitude d'ouvriers, de contre-maîtres et d'in.ifénieurs. Qu'à cela ne tienne, dit-on. Vous ne pouvez pas, ou vous n'osez pas demander aux contri- buables les centaines de millions qui les écraseraient. Deman- dez-les sous forme d'emprunt, au lieu de les demander sous forme d'impôts ; et sur le produit des services nouveaux ({ue vous allez leur rendre, vous les rembourserez dans dix, vingt ou trente ans. C'est à merveille, si, en effet, les travaux sont nécessaires, ou simplement utiles et rémunérateurs, et s'ils doivent, comme vous l'affirmez, rembourser un jour tout ce qu'ils auront coûté. Ce n'est pas là, malheureusement, ce à quoi, particu- lier, municipalité ou Etat, l'on a la sagesse de se borner. On emprunte pour se dispenser de faire aujourd'hui la dépense, et parce que de cette façon l'on n'est pas arrêté par l'impossi- bilité de solder la note. On s'engage à la légère dans la voie des dettes et des déficits ; on se leurre de l'espérance des bonnes années qui couvriront tout; et ce sont les mauvaises années qui surviennent. On se dit, si l'on est conseil municipal, ou parlement, que l'on évite d'augmenter imprudemment les impôts; et l'on ne s'aperçoit pas que, comme le disait Tur- got, dans son admirable lettre à Louis XVI, tout emprunt con- duit fatalement à l'impôt, ue fût-ce que pour en payer l'inté- rêt, ou à la banqueroute. Les 140 ou 150 milliards de dettes dont sont grevées les finances des nations européennes et les 30 à 40 ou 50 o/" de leurs impôts qu'elles doivent supporter chaque année pour solder les intérêts de ces dettes, disent assez où l'on va quand on demande au crédit autre chose que de per- mettre, en les subventionnant, des dépenses productives, augmentant la richesse commune au lieu de la diminuer. Cette habitude de rejeter, à ce que l'on croit, ses charges sur les épaules des générations futures, disait le grand ministre Glad- stone, à propos des emprunts contractés par l'Angleterre pour la guerre de Crimée, cette habitude n'est ni honnête ni sage. Avec elle, on ne sait jamais où l'on va. Et ce ne sont pas seulement les gouvernements qui sont dupes de cette fantasmagorie du crédit; ce ne sont pas seule- ment les particuliers qui, en se laissant aller, sur la foi d'es- pérances chimériques, à des dépenses douteuses, se créent les plus graves embarras. Ce sont les sociétés dans leur ensemble, les foules sur lesquelles pèse le poids du jour et qui croient s'en décharger. Ce sont les rêveurs et les faux prophètes de :u LE cm: DI T toutes sortes qui nous crient à toute lieure. et tio|» souvent nous i)ersuatleut, «[u'ils ont trouvé un moyen d'aplanir pour tous et sans peine la route du progrès ; et que la pierre piiilo- sophale des anciens alcliiniistes n'était pas une cliinière. Il n'est pas dilliciie, répètent-ils à l'envi, de développer la richesse et d'éteindre la misère. Il n'y a (lu'à l'aire appel au crédit. C'est un magicien à ({ui rien n'est imi)Ossible. Les ressources vous manquent? Demandez-les à l'avenir; faites appel au crédit; puisez dans l'inépuisable réservoir des futures moissons et de fécondité infinie du développement du génie humain, faites mieux. Débarrassez le travail de la ditTiculté de se procurer les ressources (jui lui manquent. Décrétez le crédit universel et gratuit. Que chacun, selon ses besoins, trouve à emprunter ce qui lui est nécessaire ; et la multiplication des activités de toutes sortes aura bientôt répandu partout l'abondance et le bieu-ètre. Crédit universel, malheureux! Mais le crédit, c'est-à-dire la mise à la disposition des emprunteurs des choses dont ils vou- draient être pourvus, est nécessairement limitée, à toute époque, par la quantité de ces choses qui existent. S'il n'y a dans un pays qu'une quantité déterminée de capitaux, d'outils, de char- rues, de machines, n'est-il pas évident qu'il ne pourra en être prêté et, par conséquent, emprunté, un seul exemplaire de plus? Vous pouvez, par un bon emploi de ce qui existe, en augmenter, p,)ur demain ou après demain, la quantité ; pour aujoui-d'hui, il faut, bon gré mal gré, vous contenter du stock existant. Là où il n'y a plus rien, l'emprunt, comme le roi, perd ses droits. Crédit gratuit! Crédit aveugle, en d'autres termes. Le pre- mier venu, à sa fantaisie, allant emprunter, qui l'argent, qui l'outil, qui la maison, qui le sac de blé ; mais ce serait la for- tune publique au pillage ! Et combien de temps faudrait-il, si la dure leçon de la misère ne contraignait bientôt à un amer repentir, pour anéantir absolument tout le fruit du travail passé? Non, pas de crédit gratuit, pas de crédit universel, dans l'in- térêt même de ceux qui en auraient le plus besoin ; mais, s'il est possible, im crédit intelligent et clairvoyant, un crédit hon- nête, un crédit au concours, c'est-à-dire réservé à ceux qui, en présentant le plus de garanties, et en le payant ce qu'il mérite d'être payé, se montrent les plus capables d'en faire un bon emploi, et de le faire fructifier, pour leur bien et pour le bien de leur entourage. Crédit : croyance, confiance. Croire tout le monde, se confier à tout le monde, c'est sottise, c'est duperie. LA VIE ÉCONOMIQU E :is c'est, sons une fausse apparence de bienveillance et de bonté, la plus sûre manière de trahir les intérêts de ses semblables et de les engager sur la penle tatale ((ui condiiit au désordre et à la ruine. LA CONCURRENCE EST LE SEUL MOYEN DE CONTRAINDRE l'lNTÉRÊt" PERSONNEL A '(- TRAVAILLKK LAN-: LINTÉKÊT GÉNÉRAL. I" CONTRE-AMIRAL RÉVEILLÈRE, La Concurrence. ^\ ^^AUDITE concurrence, concurrence impitoyable, cause ^l'Nrrr principale de nos maux ! répètent en choeur les trois 1/ \J quarts de ceux qui ne sont point satisfaits de la marche de leurs affaires. Et d'autres, ne se doutant peut-être pas qu'ils disent la même chose, et qu'ils disent une énormité, mettent le Gouvernement en demeure de sup- primer « l'odieuse loi de l'offre et de la demande ». Pourquoi pas la loi de la gravitation ou de la pesanteur, ce qui reviendrait au même, tout simplement? Car il ne manque pas de cas où elle cause des accidents, la loi de la pesanteur. C'est elle qui nous fait tomber des tuiles ou des cheminées sur la tête, entraîne, dans les vallées, les masses de neige qui con- stituent les avalanches, fait glisser sur les pentes des pans de montagnes qui engloutissent en un instant des villages entiers, et nous fait nous-mêmes, (juand nous posons le pied à faux ou nous penchons imprudemment au bord d"uu abîme, nous casser la jambe ou disparaître daiLs le vide. Oui, la loi de la pesanteur est dure pour ceux qui s'exposent à ses coups ; mais elle est bienfaisante pour ceux qui savent se servir d'elle, et il n'est au pouvoir de personne d'en modifier l'action : il n'est permis que de l'étudier, pour s'en servir et se garantir, si possible, de ses menaces. De même de la loi de l'olfre et de la demande, qui n'est autre chose que la manifestation, dans l'ordre économique, de cette loi de la gravitation. C'est la loi de l'équilibre des prix. Deux poids sont en opposition dans les deux plateaux d'une balance ; infailliblement, quelles qu'en puissent être les conséquences, le plus lourd l'emportera. Deux hommes, deux chevaux ou deux forces quelconques tirent en sens inverse sur la même corde ; :m la concuhhence la plus faible sera eiiliaiiiée. Deux deiiiaiideurs désirent le même objet ; celui ([ui eu oiVre le prix le plus élevé (si c'est à prix d'argent qu'il peut s'obtenir) celui (|ui est le plus sympatlii(|ue (si c'est une faveur ou une obligeance), celui qui inspire le plus de couliauce (si c'est une avance, un prêt ou un engage- ment à prendre), sera préféré : déception pour l'autre ou les autres, naturellement, épreuve cruelle parfois. Mais comment, autrement, les préférences ou les refus pourraient-ils être jus- tifiés, et quel mobile serait capable de pousser les hommes à se rendre les uns aux autres, sous les mille formes que com- portent l'emploi de leur temps ou l'abandon de leurs posses- sions, les services réciproques dont ils ont besoin'? Concurrence, c'est concours, ou. si vous voulez, mise aux enchères et adjudication au plus offrant. Oui. répond-on ; mais que d'abus dans cette enchère, que de fraudes, que de violences, (juc de pièges tendus à la bonne foi des acheteurs, et (jue d'atteintes portées à la fortune, à la réputation ou à l'honneur des concurrents! Voyez ces réclames eifrontées, ces insinuations perfides contre des rivaux, ces recommandations obtenues à prix d'argent, et au péril de la santé publique souvent, pour des appareils de chauffage, des aliments, des médicaments-; et ces fortunes scandaleuses faites en un tour de main avec des produits sans plus de valeur vénale que de valeur hygiénique ou médicinale ! La concurrence, c'est l'écrasement du faible par le fort, le dépouillement de l'honnête par le malhonnête, le mensonge et la spoliation en permanence ! Et quand ce serait vrai ; quand les abus que vous réprouvez à trop juste titre ne seraient pas précisément le contraire de la véritable concurrence, du concours loyal et libre que la loi a pour but et pour devoir de faire respecter, croyez-vous par ha- sard que l'intervention de la puissance publique, pour déter- miner le véritable prix ou la réelle qualité des services et des produits, peut être une garantie sérieuse contre les erreurs et les fraudes'? X"a-t-on pas vu, toutes les fois que l'administration même la mieux intentionnée s'est mêlée d'assurer ou de régler l'approvisionnement des marchés, de fixer par des maximums ou des minimums ce qu'elle croyait le prix normal des choses, ou de recommander, ou de proscrire tels travaux, tels aliments ou telles boissons, les plus ridicules et les plus malfaisantes déceptions, démontrer la fatale impuissance et l'inévitable malfaisance de cette ingérence de l'autorité dans le domaine de la liberté? Les médecins ont proscrit le quinquina et l'émé- LA VIE ECONOMIQUE m ti(|ii('; et l'un des plus illustres ])iu-nii eux, le si)liituel et lual- veillaut Guy Patin, s'est moqué do « la prétendue fireulution du sang ». liBs boulangers se sont vu interdire la fabrication du pain de gruau, et la pomme de terre a été déclarée malsaine. I,e l'arlement de Bourgogne, qui n'aimait que le bon vin, a interdit, en le qualifiant d' « infâme », la culture du (jamay, qui fournissait au peuple une boisson d'un prix abordable. Le Con- seil du roi Louis XIV a aggravé les conséciuences de la terrible famine de 1709 en interdisant aux cultivateurs de réensemen- cer leurs cbamps, stérilisés par l'effroyable gelée du 6 janvier et des jours suivants. J']t il a, une autre année, fait labourer, comme ne pouvant produire, des terres dans les(juelles la mois- son ne demandait qu'à lever. Toutes les interventions officielles pour maintenir ou pour contenir les prix, pour combattre les crises, pour approvisionner administrativement les marchés, ont abouti àdes déceptions ou à un redoublement de souffrances. Et, d'une façon générale, toutes les nouveautés, toutes les in- ventions, tous les progrès troublant et gênant nécessairement des habitudes et des intérêts, se heurtant à l'incrédulité et aux défiances du public et des savants eux-mêmes, ont eu à lutter contre des préventions qui les auraient presque toujours, et qui les ont plus d'une fois, fait condamner, si les contradicteurs avaient été écoutés, comme irréalisables ou dangereuses. Il n'y a pas, hélas ! d'autre critérium, pour décider tant bien que mal du mérite ou du démérite des procédés et des produits, obvier le moins imparfaitement possible aux encombrements et aux défi- cits, aux hausses et aux baisses de prix, que le nivellement naturel de l'offre et de la demande, l'appel de la cherté, qui foisonne, comme le dit le proverbe, et le contre-appel de la mévente. L'Ltat. encore une fois, ne peut rien pour suppléer la liberté; il ne peut et ne doit que la faire respecter. Mais la liberté et la concurrence, qui en est l'exercice, n'est point le désordre, l'anarchie et la fraude comme on se l'imagine. C'est un concours, ai-je dit. Un concours doit être loyal. Un can- didat à un grade ou à un poste a le droit, le devoir même de montrer, pour se faire agréer ou préférer, tout ce qu'il sait et tout ce qu'il vaut ; il n'a pas le droit de se servir de fausses pièces, de faire subir par un autre, sous un faux nom, les épreuves qui lui sont demandées, et de voler à des concurrents , plus honnêtes la jjlace dont il est indigne. Un marchand n'a pas davantage, sous prétexte de concurrence, le droit de falsi- fier les produits qu'il offre au public, de donner à son vin, à son huile, à son café une dénomination mensongère. Il peut vendre 61 L'ECHANGE ce qu'il veut ; mais à la idiulilioii de ne tromper ni sur la qua- lité, ni sur la quanlité. Lu lidulaii^'cr (|ui vous olTre du pain à meilleur marché en vous faisant conuailre les mélanj^es de fa- rines diverses (|ui lui permettent un aiiaissemenl do prix ne vous trompe point. Mais un boulanjior ([ui vous garantit une ([ualilé de farine supérieure à celle «|u'il emploie vous trompe et viole les lois de la concurrence. De môme celui (jue j'ai vu jadis alllcher du chocolat avec 15 »/o de fécule était un honnête homme; celui qui vous yaranlit pur cacao et sucre du chocolat dans le(iuel il a introduit, ne fût-ce (jue 5 °/o, d'autres matières, vous trompe et mérite d'être poursuivi. Réprimer ces ahus, pu- nir, lorsqu'elles sont constatées, les altérations de qualité on les déficits de (juantité. voilà le rôle de l'autorité puhlique. Il est bien possible qu'elle ne le comprenne pas toujours et qu'elle ne le remplisse pas comme il le faudrait. Mais n'est-ce pas aussi bien souvent de notre faute si la concurrence se fait à nos dépens ? Est-ce tout à fait sans raison que certains mar- chands, quand on leur adresse des reproches au sujet de l'au- thenticité prétendue de leurs marchandises, répondent que ce sont leurs clients eux-mêmes qui les y forcent, exigeant qu'on leur délivre, sous le nom de Bordeaux, à des prix impossibles, ce qu'ils savent très bien n'être pas du Bordeaux; qu'on leur fournisse du chocolat à un prix notoirement inférieur à celui du cacao le plus vulgaire, ou de5^ étoffes j^ure soie ou pure laine évidemment mélangées dans des proportions diverses? Nous sommes trompés; mais à qui la faute ? DONNE-MOI DE QUOI QU't'aS ; J'te "f t DONNERAI DE QUOI QU'j'aI. t t i" t IT L*Échange. Ç> ^ <5 Do ut des; facio ut facias. ^ 'ÉCHANGE est, avec le travail, le fond même de la vie. Il Deux hommes ne peuvent, en quelque cii'constance que J\y) ce soit, se rencontrer ensemble sans qu'aussitôt quelque échange n'intervienne : échange d'idées, de paroles, de services, d'aliments, d'armes, de vêtements, d'affections, et LA VIE ECUMtMIQUK ()2 aussi, liolas ! de mauvais sentiments, d'injures, ou MATIKHES PIŒMIEHKS ce travail national ? Kl tl'aboi'd (|u't'sl-co c'est (pie les matières preinières? .M. liu Fuseau, (jui est lilateur, i)réteii(I (|ne les filés anglais ou belges sont des produits tai)ri<|ués, contre l'invasion desfjuels il u besoin d'être itrolégé. M. Bernard, (jui est fabri- cant de toiles, soutient (jue ce sont des matières premières altsolument indispensables à son industrie, et (fu'il est injuste de l'inipèclier de se les i)rocurer au meilleur prix. M. Jourdain, qui a obtenu une médaille il'or et la croix à l'Exposition pour ses draps, atlirme ((u'il ne [)eut se passer des laines de Saxe ou d'Australie; et (jue les laines de France, sans l'appoint d'un mé- lange avec ces laines exofi(jues, ne peuvent suffire pour la con- fection de ses beaux produits. M. Le Berger, qui est (ier de ses troupeaux de moutons, lui répond (ju'il méconnaît les mérites de l'oviculture frant^aise ; (jue ses laines sont un produit tont comme les draps de son collègue, et que l'on ne saurait les sacrifier aux troupeaux étrangers Et ainsi de suite de métiers en métiers. C'est à en perdre la tête! M. Serviable. — Bonjour, M. Perplexe. Comment allez-vous aujourd'hui? Vous avez l'air soucieux. Vous est-il arrivé quel- que chose de désagréable? M. Perplexe. — Non pas, non pas ! C'est-à-dire si ; mais ce n'est pas ce que vous pouvez supposer. Et ma foi, tenez, puisque je vous rencontre, c'est comme un fait exjjrès : vous allez me tirer d'embarras. Vous êtes armateur, n'est-ce pas ? Vous avez pour profession de faire alternativement, suivant les circonstances, de l'importation ou de l'exportation, c'est-à-dire d'expédier de France au dehors des marchandises dans d'autres pays, et de faire venir du dehors eu France d'autres marchandises? M. Serviable. — Parfaitement. Le commerce est un va-et- vient. Nous avons besoin des autres et les autres ont besoin dé nous : services pour services et produits contre produits. M. Perplexe. — Très bien, je vous entends. Et cette récipro- cité parait assez raisonnable. C'est même, au dire de certains, l'idéal vers lequel nous devrions tendre : Donnant, donnant ; et chacun laissé juge de ce qui lui convient de vendre ou d'acheter. Mais vous savez que nous n'en sommes pas là; et que la Commission des Douanes, dont je fais partie, n'a pas été instituée pour laisser le champ libre à toutes les fantaisies de l'offre et de la demande. En ce moment, elle est précisément occupée à déterminer ce que l'on doit entendre par matières premières, et à décider à quel régime ces matières premières seront soumises. Or, nous avons beau faire et beau dire, nous ne pouvons pas parvenir à nous entendre. L A VIE ÉCONOMIQ UE 66 Vous êtes uu liomine pnilicjiie. x\I. Serviable. Vous n'êtes pas (le ceux qui veulent toujours vendre, ni de ceux <(ui veulent toujours îicheter ; vous laites l'un et l'autre alternativement et même tout ensemble, selon les circonstances, et vous vous en trouvez Men, puisque vous avez fait à ce jeu-là une helle fortune, et (jue vous continuez à y trouver votre compte. Dites- moi donc un peu ce que vous en pensez. Et d"a])ord qu'est-ce que c'est au juste qu'une matière première, et qu'est-ce que c'est qu'un produit? Vous me direz ensuite connnent vous esti- mez qu'on les doive traiter l'un et l'autre. M. Serviahle. — Ma foi, Monsieur, ma réponse va probable- ment beaucoup vous étonner. Elle scandaliserait la plupart de vos gros bonnets de la Commission des Douanes. Mais, puisque vous y tenez, je vous la donne tout net. Tout, sans exception, est à la fois, suivant les cas, ou plutôt suivant la façon dont on l'envisage, matière première ou produit. Et il n'y a aucun moyen de donner d'une façon définitive à une marchandise quelconque l'une des deux dénominations ou l'autre. M. Perplexe. — Vous plaisantez, M. Serviable ! Il faut être chair ou poisson ; et il ne suffit pas de changer les noms des choses pour en changer la nature. Je sais bien peut-être, quand j'achète du blé, si c'est pour le manger afin de m'en nourrir demain, ou si c'est pour le semer, afin d'en augmenter la quan- tité et d'en avoir à vendre l'année prochaine. M. Serviable. — Précisément, mon cher Monsieur. Et vous ne pouviez mieux démontrer l'incontestable vérité de mon assertion. Qu'est-ce qu'une matière première ? A parler abso- lument, c'est une chose qui est encore dans son état primitif, qui n'a reçu aucune façon, que la main de l'homme n'a point touchée soit pour la déplacer, en la mettant à la portée de ceux qui en ont besoin, soit pour la façonner, la transformer, la modi- fier de manière à lui conférer une utilité qu'elle n'avait pas eue jusque-là. Le minerai dans la terre, la houille au fond de la mine qu'aucun tx-avail n'a ouverte encore, et dont l'existence même n'est pas soupçonnée, sont des matières premières. De même le bois ignoré ou inexploitable dans les forêts vierges; le caoutchouc à l'époque où personne n'avait encore la moindre idée des nombreux emplois dont il est susceptible ; les argiles d'où l'on devait tirer l'aluminium, les « terres rares <> dans lesquelles dormait, inconnue, l'incompréhensible puissance du radium ; tout enfin, avant d'avoir été étudié, appréhendé, uti- lisé, est matière première. Tout est produit aussitôt que, par un travail quelconque, de cette chose inutile, l'homme a fait t)7 M ATIiainS PH EMÎ KHES une rli(t>c iilili- ini ctnisideiio (i;ir lui Loimiu- Ifllf. !.«' caoïit- chouf est lin |»n>(luit quand il a été récolté, tout coniine le blé ou les fruits de mon jardin. Le minerai de fer est un j)roduit (luaud il a été extrait pour être fondu; le coton, (juand il a été cultivé, récolté, expédié à l'usine qui le mettra en œuvre. Et ainsi de tout sans exceptiou et sans limite, jusqu'au moment de la consommation déltnrfive, qui en fera disparaître, en la réa- lisant, la possilwlîté d'utilisation. Et il y a là toute une série, parfois courte, parfois indéfiniment prolongée, toute une suite d'états successifs qui font [)asser la même chose de l'état de matière première à produit, de produit à nuitière première, de matière première à produit ^>encore. et ainsi alternativement. Le minerai de fer, jiour reprendre les mêmes exemples, est devenu produit par le travail du mineur ; il est matière première pour le maître de forges qui va en faire de la fonte, du fer ou de l'acier, (leux-ci seront matière première pour le forgeron, pour le coutelier, pour le serrurier, pour l'armurier, qui en feront, selon les cas, des instruments de travail, ou des agents de destruction. Le coton, le lin, le chanvre, la laine sont des produits pour le cultivateur ou pour l'éleveur. Ils sont des matières premières pour le filateur, dont le fil (M. Bernard a raison) produit pour celui-ci, est matière première pour le tisserand ; de même que l'étoffe, produit pour celui-ci, va être matière première pour le tailleur ou la couturière. Prenez tel exemple que vous voudrez, mon cher Monsieur, ce sera tou- jours la même histoire. Les choses ont deux faces, comme le dieu Janus. suivant qu'on les regarde par devant ou par der- rière, du côté du passé et du travail qu'elles ont subi, ou du côté de l'avenir et du travail qu'elles sont destinées à subir, du côté de l'acheteur, ou du côté du vendeur. M. Perplexe. — C'est très intéressant. M. Serviable. ce que vous me dites ; et je n'y avais jamais réfléchi. M. Serviable. — Ni la plupart de vos collègues de la Com- mission des Douanes et du Parlement, mou cher Monsieur. Et savez-vous poui-quoi? C'est que c'est si simple, si évident, quand on veut bien y réfléchir, qu'on n'a jamais cru que cela valtit la peine de s'en occuper. M. Perplexe — Et qu'est-ce que vous concluez*? Car enfin il faut conclure, puisque nous avons des décisions à prendre et un tarif de douanes à rédiger. M. Serviable. — Ce qu'il faut conclure, M. Perplexe'? C'est ce que vous ne conclurez pas. Ce qu'il faut faire ? C'est de ne rien faire : de renoncer à sêner le travail national, en gênant LA VIE ECONOMIQUE 08 les échanges qui l'alimeiilcnl, de le laisser se hniiiiir dos pro- duits dont il a besoin, et de lui permettre de fournir aux autres, en retour, les produits qui leur font défaut : matières premières ou produits, services contre services, travail contre travail, avantages en retour d'avantages, importations compensées par des ex])ortations, ventes et achats se soldant réciproquement, avec bénéfice pour les deux i)arties. Il ne s'agit, en somme, pour l'une comme pour l'autre, (jne (l'obtenir à meilleur compte ce dont elle a besoin, à charge de réciprocité. La matière pre- mière par excellence, au fond, c'est le travail, c'est le temps, « l'étoile dont la vie est faite »; c'est la vie qu'il s'agit d'amé- liorer en en perfectionnant l'emploi et en en diminuant la dépense. LES PRODUITS S ECHANGENT CONTRE LES PRODUITS "t -V t' ■!' 1" "t" 'i' "i" 1" "t J.-B. SAY. ET LES SERVICES CONTRE LES SERVICES. La Balance du Commerce. ^ Ç) «i ^\ ^^ SERVIABLE. — Eh ! bien, mon cher Monsieur [vV[r Perplexe, où en êtes-vous dans votre Commission \j O O tles Douanes, et qu'avezvous décidé au sujet des matières premières ? M. Perplexe. — Oh! rien encore; nous n'allons pas si vite en besogne. Et, franchement, je vous avoue que je suis toujours bien embarrassé. J'ai bien essayé de faire comprendre à mes collègues que nous ne pouvons pas nous passer des produits des autres nations ; et que charger de droits ce qu'ils appellent des matières premières, c'est enchérir d'autant le travail de nos industriels qui les mettent en oeuvre. Ils me répondent que l'expérience universelle leur donne raison, et que si les pro- duits étrangers, quels qu'ils soient, pouvaient entrer librement chez nous, nous en verrions bientôt sortir notre or et notre argent, nécessaires pour les payer. Déjà, avec notre tarif pro- tecteur, nous n'avons que trop de peine à les conserver ; et la balance du commerce n'est pas toujours tant en notre faveur. M. Serviable. — La balance du commerce, M. Perplexe ? Vous croyez encore à cela? (j'.l LA UALXNCE DU COMMEHCE M. l\'rplt:ri'. — .Mais coiimn' huit le iiiiiinlc. Monsieur ! Tout le monde sait l»ien (jue (|uauil un iinporfe plus ({ue l'on exporte on esl en perte ; car enlin, quanti on acJiète, il laut payer; et, pour payer, ilonner sou or ou sou argent. Tandis que, lors([u"on vend, ou est eu gain, l'on reçoit de l'or ou de l'aryent. M. Sercidlilc. — Vraiuieut? Et coninieut se fait-il alors que fous les pays prospères importent plus (jn'ils n'exportent ; et que la Grande-Bretagne, qui doit sa richesse à sou conunerce, ait tous les ans. depuis bien longtemps déjà, un excédent d'impor- lalions de plusieurs milliards et ne se voie pas privée de sa dernière livre sterling et de son dernier shilling? M. Perplexe — En eiVet, c'est bien extraordinaire ; et je ne me l'explique pas. M. Serviahle. — C'est bien simple pourtant. C'est (jue, n'en déplaise au mensonge des mots, les produits ne se paient pas eu espèces, mais en produits. Est-ce que, même dans le com- merce intérieur, même pour nos atTaires personnelles, nous avons toujours la main à la poche pour solder nos acquisitions? Nous payons en papier, en billets de banque, en chèques, en traites, qui nous évitent le maniement matériel du métal, et ijui nous permettent de faire presque sans déplacement de numéraire des opérations qui représentent des sommes consi- dérables. C'est bien autre chose de pays à pays. Les produits importés sont payés par des produits exportés, et réciproque- ment. «. Messieurs, » disait spirituellement un jour, dans une conférence entre Américains et Français, le savant professeur Laboulaye, « il y a ici. dans cette assemblée, un certain nombre de dames américaines qui, après quelque temps de séjour à Paris, se sont aperçu qu'elles n'avaient plus rien à mettre. Elles sont allées visiter nos couturières et nos modistes ; et elles ont fait l'acquisition d'un certain nombre de robes et d'objets de toilette, dans ces prix doux que nous connaissons. Après quoi, elles vous ont dit. à vous. Messieurs leurs maris, de vouloir bien payer.' Et vous avez payé. Mais comment? Aviez-vous apporté de New-York, de Chicago ou de Cincinnati des sacoches pleines de dollars, voire un poi'tefeuille rembourré de bank -notes? Vous avez tiré de votre poche un petit carnet grand comme la moi- tié de la main; vous en avez détaché une feuille; vous y avez inscrit un chiifre ; vous avez signé, et vous avez remis ce bout de papier aux fournisseurs, qui, sans plus de façon, vous ont donné quittance. C'est que ce papier ils n'avaient qu'à le pré- L A VIK ECONOMIQUE 70 senter chez im banquier, chez qui vous aviez un crédit, pour en toucher le montant en billets de banque ou en espèces. Et pourquoi aviez-vous un crédit chez ce banquier ? C'est que vous aviez, en Europe, en France peut-être, en Angleterre, eu Alle- magne ou ailleurs, des débiteurs auxquels vous aviez vendu du coton, des jambons, des machines agricoles ou autres choses. C'est avec votre lard, votre coton ou vos machines (jue vous avez payé les emplettes de ces dames; et c'est avec leurs l'obes, leurs bijoux ou leurs colifichets (|ue nous avons payés, par des intermédiaires plus ou moins nombreux, vos marchan- dises américaines. » M. Laboulaye avait raison, mon cher Monsieur Perplexe. Et c'est ainsi que, par le monde, de pays en jiays et de rico- chet en ricochet, se croisent et se contrebalancent ces grands courants d'échanges qui sont comme la circulation de la vie à travers le globe, et qui seraient autrement considérables si les gouvernements voulaient bien s'abstenir de les contrarier par des obstacles de toutes natures. M. Perplexe. — Alors, suivant vous, nous avons avantage à importer plus qu'à exporter ? M. Serviable. — Evidemment. De même que moi, négociant, j'ai intérêt à recevoir plus que je ne donne, et que mon bénéfice, au bout de l'année, est l'excédent de mes entrées sur les sorties ; pourquoi voulez-vous que la nation, qui est l'ensemble des indi- vidus, s'enrichisse quand ses membres s'appauvrissent, et s'appauvrisse quand ils s'enrichissent ? M. Perplexe. — Mais pourtant, mon cher Monsieur, quand je lais une affaire avec mon voisin, si j'y gagne, il faut bien qu'il y perde. Et si la France, dans ses échanges avec les Etats- Unis, est en bénéfice, c'est, apparemment, que les Etats-Unis sont en perte, et réciproquement. M. Serviable. — Et pourquoi donc, s'il vous plaît ? Ne puis-je pas préférer ce que vous me vendez à ce que je a'ous cède ; et vous préférer ce que je vous cède à ce que vous me vendez "? Vous êtes habile dans un métier, et moi je le suis dans un autre. Si je voulais faire moi-même ce que vous faites mieux que moi, et si vous vouliez faire vous-même ce que je fais mieux que vous, il nous faudrait nous donner tous les deux plus de peine et faire plus de dépenses. En travaillant l'un pour l'autre, nous profitons l'un et l'autre de la supériorité que nous ne possédons pas, et nous gagnons chacun la différence. C'est là. quand les transactions sont honnêtes, tout le secret du commerce, pour •les nations comme pour les individus. 71 LA BALA NCE DU COMMERCE M. PerpUwc. — Oui. je crois cdiiipicmlre. (l'est riiistoire de 1 'aveugle et ilii |);ir;il\ liiiut- : Ainsi, sans que Janiuis noire amitié décide Qui de nmis deux remplit le plus utile emploi, Je marcherai pour vous, vous y verre/ pour moi. (l'est la frateraifé des choses. M. Si'iviahle. — A merveille! Des choses et des hommes, s'ils voulaient bien le comprendre. M. Perplexe. — Oui, quand j'achète, quand j'importe, c'est une utilité, une satisfaction, une recette que je me procure. (Juaud j'exporte, c'est un objet utile, un fruit de mon travail dont je me défais; c'est le prix auquel je me procure ce que j'achète. Si j'exportais sans importer, ou si je u'imijortais pas l'équivalent de ce que j'exporte, je ferais un marché de dupe. Pourtant, comment se fait-il que différents pays à la fois, comme résultat définitif de leurs échanges, se trouvent avoir importé plus qu'ils n'ont exporté, c'est-â-dire avoir reçu plus qu'ils n'ont donné'? M. Serviable — Par la raison que nous indiquions tout à riieure : que chacun cède ce qui a moins de valeur pour lui que pour sou client, et reçoit ce qui a moins de valeur pour son client que pour lui. Si. pour se procurer en France un produit déterminé, il faut à un Français quatre journées de tra- vail, et à un Américain, par suite d'avantages naturels de terrain, ou de climat, trois seulement ; et si, à l'inverse, ce que l'on fait en France en ti-ois jours ne peut se faire en Amé- rique qu'en quatre, en échangeant l'un contre l'autx-e ces deux produits, le Français et l'Américain épargnent également une journée de travail. Et c'est ainsi, comme on l'a dit sous une forme paradoxale, mais, au fond, avec une parfaite vérité, que nous pouvons, les uns et les autres, à la condition de nous entendre, consommer plus que nous ne produisons. Sans compter les frais de transport et autres, qui modifient le chiffre des déclarations en douane, et dont il faut bien tenir compte. Si j'expédie d'Europe en Amérique cent mille francs de marchandises, ces marchandises arrivées à destination vau- dront, par suite du fret, de l'assurance et des droits de douane à payer, cent dix, cent quinze, cent vingt mille francs sur le marché américain ; et c'est cette somme supérieure que je con- vertirai en marchandises américaines, qui seront majorées à leur tour en arrivant en France. Je serais en perte, et mes LA VIE f:c().\nMi(ji;i': n confrères américains également, si nous ne réimportions pas toujours, (le part et d'autre, plus que nous n'cxi»ortons. M. Perplexe — Alors les nations, pour s'enrichir, n'auraient plus besoin de chercher à se dépouiller ? La richesse ne serait l)lus une proie ? La guerre fia guerre de tarifs, comme la guerre à coups de canons), ne serait qu'une sottise et un crime; et nous aurions intérêt à nous respecter, à nous assister et à nous aimer les uns les autres? C'est trop beau! Et ce n'est pas à la Commission des Douanes que vous lerez adopter pareille utopie. L USINE ET L ATELIER DONNENT LE PAIN AUSSI BIEN QUE LE CHAMP, ifr "i' 'Y "f "^ Contre-Amiral RÉVEILLÈRE. CoopéraHon. c> c> Ç> Yl L faut abolir le salariat et le remplacer par la coopération, 1 1 clament chaque jour une foule de braves gens qui ne savent ni V ce que c'est que le salariat, ni ce que c'est que la coopération et ne se doutent pas que le salariat est partout et la coopé- ration aussi. Sous quelque forme: et sous quelque nom que se présente la rémunération d'un travail ou d'un service, c'est, comme je l'ai dit ailleui-s, un salaire. Et quels que soient les rapports établis entre l'employeur et l'emploj^é, c'est une coopé- ration, puisque l'un et l'autre, et d'autres avec eux, les produc- teurs et les transporteurs des matières premières, les cons- tructeurs des machines, les architectes, matons, terrassiers, les boutiquiers, épiciers, bouchers, etc,. qui les nourrissent et les habillent, ont contribué, eux aussi, à l'exécution de leur travail et participé à ses résultats. Que, dans cette coopération, la part de chacun n'ait pas été faite avec une exactitude suffisante, qu'il y ait avantage à faire mieux apparaître, par une détermination préalable des di'oits et 'des devoirs de chacun, la communauté d'intérêt qui les lie, et à stimuler ainsi le zèle et l'activité de toutes les parties prenantes, c'est possible, et toutes les combinaisons proposées dans ce but, pourvu qu'elles soient librement accep- tées, sont intéressantes. Mais aucune [d'elles ne supprime le 7;{ PMiTICIPAriON salaire ; elles leiuioiit. eu le iiropoilioiinaiit plus réellement à la lâche aceoiiiplie par chaeim, à le rendre plus équitable, plus réuuMiéraleur et plus encourageant. Changer les mots n'est pas ihanger la nature des choses; mais c'est parfois changer Titléc que l'on s'en lait, et, par suite, les sentiments <|ue l'on en a et lu fa(;on dont on se conduit. Voir juste, c'est le moyen d'aeir bien. CHANHER I-E NOM DES CHOSES N'eN "i" f CHAXGE PAS LE CARACTÈRE, MAIS PEUT CHANGER PARFOIS l/iyÉE QUE l'oX s'EN FAIT. TEL QUI SE TROtiVE HUMILIÉ DE ir RECEVOIR UNE GRATIFICATION, SE SENT FIER DE TOUCHER SA PART d'uN DIVIDENDE, 'ir t ParHcipaHon. <> ç) ^ renons très bien, disent certains réformateurs, ^st pas au pouvoir du Gouvernement de régler i-ement les salaires. Xi les coalitions les plus formidables, ni la grève la plus universelle ne peuvent avoir la puissance de faire distribuer en salaires, d'une façon durable, plus que l'équivalent de ce que le travail fournit en produits. Toute hausse qui. au lieu d'être déterminée par une augmentation du capital existant et du travail qu'elle paie, serait obtenue au prix d'une réduction du fonds des salaires, amè- nerait promptemeut une crise dont le monde des travailleurs deviendrait nécessairement victime. Mais il y a bien des ma- nières de déterminer la rétribution due au travail, et de faire, sans arbitraire et sans violence, monter le taux de cette rétri- bution en intéressant plus visiblement les travailleurs à pro- duire mieux et davantage. L'une de ces combinaisons, qui a fait ses preuves, et qui a été recommandée par les autorités les plus sérieuses, c'est la parti- cipation aux bénéfices. Le capital sans doute est l'aliment de l'in- dustrie ; l'intelligence qui dirige en est l'âme : et, par conséquent, ils ont droit à une part importante de la richesse qu'elle pro- duit. Mais le travail, la main-d'œuvre est l'indispensable moteur ; et. puisqu'il participe dans une mesure toujours considérable ^. O OUSoompn Ir^ (ju'il n'est V >J arbitraireii LA VIE kCOSOMlQUE 7'i à la production, il doit i)artic-i|)or aux héiïcfices. \\\ lieu, doue, d'un salaire unifornément réglé à forfait et quels que soient les résultats de l'entreprise, ou en plus de ce salaire à forfait, ne serait-il pas juste (jue les ouvriers fussent intéressés dans l'œuvre à laquelle ils coopèrent, et reçussent, comme les actionnaires dans les sociétés industrielles et linancières, ce que l'on appelle un dividende ? La chose est possible, d'importantes expériences l'ont démon- trée ; et la maison Leclaire, dont la prospérité n'a jamais été menacée, n'est pas la seule (jui ait fait la fortune de ses chefs en assurant et en améliorant la condition de son personnel. Pourquoi ce qui a si bien réussi ici et là n'est-il pas généra- lisé? Et qui empêche le législateur de prescrire, en en déter- minant les bases et les proportions, l'attribution, dans tou'.e entreprise commerciale ou industrielle, d'une certaine propor- tion des bénéfices aux employés et ouvriers, suivant l'impor- tance et la durée de leurs services? Une première condition, pour qu'une pareille réglementation fût possible, serait qu'il y eût des bénéfices. Il n'y en a pas toujours, malheureusement, et, quand la caisse est vide, peu importe qu'un article de loi ou le texte d'un engagement pres- crive d'y puiser. Puis, lors même qe'il y a des bénéfices, il n'est pas toujours facile d'eu établir le compte ; encore moins de discerner à qui l'on en est redevable, et à quelle période, à quelle partie du personnel changeant, par conséquent, il peut être juste d'en tenir compte. Le succès de M. Leclaire lui a fait grand honneur; c'était un homme de bien et c'était un habile homme. Mais la combinaison à laquelle il a dû ce succès, relativement facile dans une entreprise comme la sienne, ne l'est pas, et peut même être absolument impossible dans une autre entreprise. Que faut-il à un entrepreneur de peintures? Des échelles, de la couleur, des pinceaux, c'est-à-dire un capital circulant et renouvenable. relativement peu important, et presque pas de capital fixe, immobilisé en bâtiments, machines, etc. Ce qu'il fallait pour que ce capital circulant fût px-oductif, c'était une bonne clientèle, dont la recherche et l'entretien était l'affaire du patron, puis un bon emploi du temps de ses ouvriers, et des matières mises à leur disposition. Courir de chantier en chantier pour les surveiller semblait indispensable pour obte- nir ce bon emploi. M. Leclaire, en intéressant son per- sonnel aux résultats de son travail, le chargeait de se sur- veiller lui-même. Les comptes, d'ailleurs, n'étaient pas diflB- 7o PARTICIPATION ciles à fairt' : faut triiiiilt', tant de peinture, tant d'essence, tant de journées de travail et tant de recettes ; un peu d'ari- thinéti(iue y sullisait. Voyez, en taie de cet atelier en quelque sorte familial, (|uel([ue développement qu'il ait pris, une usine, comme une filature ou un tissage, une forge ou une fonderie, une entre- prise de transport ou de navigation. Quelle importance prend le capital fixe, et quelles dillicultés pour se rendre compte de sa part dans l'ensemble du travail : pour savoir en combien de temps il sera amorti ! Puis qiielle complication dans la mul- titude des opérations de toutes natures par lesquelles doivent passer rélalioratiou. le placement et la rétribution du produit! (l'est du minerai de fer et de la houille (ju'il a fallu se procu- rer et faire venir de loin peut-être : c'est du bois, du coton, de la laine, du caoutciiouc amenés de l'étranger par des voies diverses : et. finalement, quel que soit le genre d'industrie, des mois, des années parfois entre l'achat des matières pre- mières et la réalisation des ventes, qui sont le terme de l'opé- ration. Qui distinguera, au milieu de toutes ces complications, la part prise au résultat final par celui-ci ou celui-là, la faute ou le mérite qiii auront assuré, réduit ou compromis le béné- fice '? L'atelier a été construit avec plus ou moins d'intelligence ; la direction a été habile ou insuffisante ; les matièi-es premières ont été acquises à des cours avantageux ou à des cours oné- reux ; les marchés passés pour la vente se sont trouvés, jjar suite de circonstances extérieui-es. favorables ou défavorables ; les rentrées, bien surveillées, n'ont point laissé de mécompte, ou, au contraire, jjar suite de facilités imprudemment accor- dées, des clients se sont trouvés insolvables. En quoi, je le demande, l'ouvrier qui a bien accompli -sa tâche, mais qui n'a été pour rien dans ces causes de pertes ou de bénéfices, étran- gères â sa besogne personnelle, peut-il prétendre à une part sur le gain ou subir sa part de la perte*? Il n'est pas vrai cependant qu'il n'y participe pas dans une certaine mesure. Si la maison qui l'emploie est pi-ospère, il a la sécurité de son avenir et, tout naturellement, des chances de voir améliorer sa situation. Si les affaires de la maison vont mal. il est exposé à eu pâtir. Son intéi-êt est donc, puisqu'il y contribue par son plus ou moins de conscience, d'adresse et d'activité, de bien employer son temps et les matières qu'il a à mettre en œuvre. Et l'intérêt du patron, d'autre part, est de le traiter convenablement et de lui savoir gré du bon accomplisse- ment de sa tâche. Il peut, et il doit souvent, pour le faire réel- LA VIE ECONOMIQUE 70 Icnienl participera ses béiicliccs. lui .iIIoikt. (luaii'l il le mérite, un salaire supplémentaire, ou, lorsipie les inventaires sont sa- tisfaisants, lui aecorder spontanément, sans employer le mot, pourtant admis dans beaucoup de maisons de commerce, de « gratification », lui tant pour cent prélevé sur les bénéfices. Mais il est difficile, d'une part, bien que cela ait été essayé par quelques industriels, exceptionnellement assurés de leur puis- sance, d'exiger la mise à découvert des livres, au risque de compromettre parfois par des indiscrétions dangereuses la for-" tune commune, ou de prétendre, d'autre part, asseoir cette rétribution additionnelle sur tout le vaste ensemble d'opérations auxquelles, il faut le répéter, la majeure partie du personnel est, en réalité, étrangère. Il y a un moyen, très différent, mais très positif, de réaliser, dans une certaine mesure seulement, il est vrai, mais de réali- ser sûrement la participation des employés et ouvriers à la fois aux bénéfices et aux pertes. C'est de les constituer ou de les laisser se constituer eux-mêmes, par l'octroi ou par l'achat d'un certain nombre de parts du capital social, actionnaires de l'ensemble de l'entreprise. Jusqu'à présent, cette combinaison n'a été que rarement tentée et n'a pas toujours réussi. Elle n'a du moins rien de factice et d'arbitraire.: et il est possible que l'avenir en fasse une des solutions équitables et bienfaisantes des difficiles rapports du capital et du travail. Telle est du moins la pensée qui semble avoir inspiré la création projetée d'actions de travail. Je n'insiste pas ; et je ne voudrais pas que l'oia crût trop faci- lement à la possibilité de réaliser une combinaison qui n'est point sans doute applicable à tous les cas. Ce que je veux dire, et ce que je me borne à dire, c'est, d'une part, qu'il n'existe pas de formule cabalistique au moj'en de laquelle on puisse assurer d'une façon générale et uniforme une détermination rigoureuse- ment équitable de la rétribution proportionnelle du capital, de l'intelligence et du travail; et c'est, d'autre part, que tout ce qui pourra être fait honnêtement et sans violence pour appro- cher de cette détermination et pour mettre en relief la solidarité qui relie ces trois éléments de la production, et l'intérêt qu'ils ont au même degré à accomplir consciencieusement leur tâche et à se soutenir mutuellement, ne i:>eut être que lavorable aux uns comme aux autres, et faire, par conséquent, parti- ciper le salaire, comme le capital et l'intelligence, à la pros- périté ou aux mécomptes de l'entreprise dans laquelle ils sont engagés. 77 LE LUXE TOUT EST NÉCESSAIHi:, ET TOUT EST {- i" DAN«:EHEUX. t t t t t -t- l' Sr t VOLTAIRE. (ZADIG). CE SONT LES YEUX DES AUTHES QUI NOUS l'EHDENT. t t t t t i t t t 1' FRANKLIN. Le Luxe. «i C) Yj L faut supprimer la misère! répètent partout, depuis que le Il monde est monde, et chaque jour davantage à mesure qu'il V s'enrichit, la foule des guérisseurs sociaux, ayant tous, pour nous débarrasser de nos douleurs et de nos dénuements, des procédés infaillibles. Ce ne sont que des variantes de celui qui consiste à supprimer le malade pour supiirimer le mal. Vous ne pouvez rien contre la misère, répliquent les autres. Elle est fatale, c'est la rançon du progi'ès ; et le Christ lui-même, dans son amour pour les hommes a bien pu mourir pour eux ; il n'a pu leur donner même l'espérance du bonheur terrestre. Vous aurez toujours des pauvres parmi vous, a-t-il dit à ses disciples; et nous en aurons toujours. Des pauvres, oui, si l'on entend par pauvres des hommes moins bien pourvus que les autres, obligés, pour vivre et faire vivre leur famille, de travailler et de se priver, soumis à la loi. parfois dure, de l'effort, de la prévoyance et de l'économie. Des misérables, non, si l'on entend par là des êtres voués, de génération en génération, au dénuement sans espoir, déchet humain et ferment de désordre, de corruption et de haine. La pauvreté, qui est un état relatif, existera toujours, alors même que les moins bien partagés, par le progrès général, dont ils Voir La suppression de la misère, lecture à l'Académie des sciences morales (Compte-rendu de l'Académie, octobre 1907). A paru dans La Revue (ancienne Revue des Revues) n'> du i5 août 1907. LA VIE kCOXOMIQUE HO auront eu leur i»art, seront devenus plus riches (jue les riches •l'aujourd'hui. La misère, état ahsolu de déchéance ou de dégra- dation, peut et doit disparaître, mais par l'amélioration labo- rieuse et intelligente de ses victimes, non par aucun des pro- cédés empiriques qui la nourrissent en la berçant d'espérances illusoires, Elle est, en elîet, le résultat de causes morales, de vices et d'erreurs qui altèrent la direction de nos actes, et il suffira de nous en corriger pour nous soulager de leurs consé- quences. Supprimez la paresse, qui tarit la source du travail, l'ignorance, qui eu compromet la fécondité, l'imprévoyance, qui maintient jîarmi nous l'insécurité, l'ivrognerie et la débau- che, qui empoisonnent le corps et l'âme, l'envie, la jalousie, la haine et les querelles qu'elles engendrent d'homme à homme ou de peuple à peuple : désordres, troubles civils, guerres so- ciales et guerres étrangères, avec leur cortège de ruine, de souffrance et de meurtre. Faites régner partout, dans les rela- tions humaines, la bienveillance et la sympathie, l'aide mu- tuelle et la bonté compatissante : que restera-t-il de causes de misère, de cette misère incurable, morale plus que matérielle, à charge à ceux qui en sont les victimes directes, et redou- tables pour le reste de la société ? — Et que faites-vous, me dira-t-on, de la maladie, des acci- dents et de la mort? — Vous avez raison; c'est la part fatale de l'infirmité hu- maine, et celle-là nous ne pouvons nous flatter de la faire dis- paraître, îsous pouvons tout au moins la réduire ou en réduire, dans une proportion considérable, les effets. La maladie, les accidents, la mort elle-même ne sont-ils pas bien souvent la suite de notre ignorance et de nos fautes? L'économie, la fru- galité, l'hygiène, tant privée que publique, pourraient, dans une mesure considérable, diminuer les fléaux publics et les sinistres particuliers. Si peu observées qu'elles soient encore, combien ne sommes-nous pas déjà loin de ces épidémies des siècles passés qui fauchaient parfois jusqu'au quart et au tiers, disent les chroniqueurs, de la population! La prévoyance, sous la forme des sociétés mutuelles de secours ou de retraite et l'assurance ne peuvent-elles pas, ainsi que je l'ai indiqué ail- leurs, fournir les moyens de combattre et de supporter la ma- ladie, l'infirmité et la vieillesse? Et contre la mort elle-même, ou du moins contre ses conséquences, ne fournissent-elles point des garanties, insuffisantes sans doute, mais réelles pour- tant et de nature à fermer, quand le deuil frappe à une porte, l'entrée à la misère qui marche derrière elle? 81 L'ASSISTANCE La gueiM'o l'iitin. l:i liiiiiidc itoiii-voyciise des calaiiiilés liu- niaiuos. la guerre qui fauche les iiioissuiis eu même temps que les homuies, qui détruit les fruits du travail jjassé, et sup- priuie, avee les bras, les i)rouiesses du travail avenir; la guerre qui met la solitude au foyer, avec le dénûmeut, u'est- elle pas elle-mèuie un fait de la volonté humaine, un fruit détes- table de nos iguorances et de nos haines, contribuant, par le mal qu'elle fait, aies aggraver et à empoisonner l'avenir après avoir désolé le présent? Et quel({ue place qu'elle ait teuue en- core dans les douloureuses destinées de notre temps, de ((uel- <|ues menaces (ju'elle continue à trouliler notre Iranijuillité, u'avons-nous pas ac(iuis déjà la preuve de la possibilité d'en écarter les causes et d'en réduire les occasions? Tout donc, tout, parmi les maux dont nous soulï'rons, est plus ou moins de notre l'ait. Tout, dès lors, pourrait être ou sup- primé ou diminué, si. plus éclairés, plus sages, plus prudents et meilleurs, nous savions le vouloir d'une volonté soutenue et persévéraute. Cette volonté, cette sagesse, cet amour éclairé de nous-mêmes et de nos semblables, sommes-nous capables de les avoir? Tout est là. C'est pourquoi, sans avoir l'illusion d'attendre demain la sup- pression de la misère, je soutiens que sa disparition graduelle, son adoucissement tout au moins, n'est point une utopie, mais un but à poursuivre comme un devoir, avec la confiance de s'en pouvoir de plus en plus approcher. £t, avec l'illustre Tolstoï, dont, sur d'autres points, je n'accepterais pas toutes les idées, j'affirme que, le mal étant en nous, c'est en nous que Hous devons chercher le remède et le salut. LES BIENFAITS MAL PLACES SONT DES 't MÉFAITS, t t -ir t t t -J- t 'i-' i' Saint BASILE. L*Assistance. C) Kt, réfutant lui-même ce qu'il avait dit précédemment d'excessif sur la contradiction fatale de la loi de multiplication des êtres humains et de celle de leurs moyens d'existence, il a été jusqu'à écrire textuelle- ment, comme résultat de ses constatations : « Plus la population est rare, et plus elle excède, plus elle est dense et moins elle surabonde. » le nombre étant, lorsque la qualité ne fait pas défaut, l'un des éléments de la force et de la puissance créa- trice, u La consommation ne peut excéder les produits, » avait dit avant lui Quesnay. <( La mesure des subsistances est celle de la population. Mais l'économie dans les dépenses, le sage emploi des consommations faites par les hommes utilement laborieux peuvent accroître presque indéfiniment la masse des capitaux: » autrement dit la production. Mais encore une fois, je ne traite pas eu ce moment la ques- tion de la population, et je n'en ai voulu dire que ce qui était indispensable pour avertir des erreurs et des calomnies dont est victime la mémoire de Malthus. Je reviens à la question de l'assistance, au sujet de laquelle il n'a pas été moins mal jugé, et sur laquelle il importe de se faire des idées saines. (( Nous sommes, » dit Malthus, « des êtres raisonnables, et nous devons chercher à régler nos actes selou la raison, eu essaj'ant de nous rendre compte de leurs conséquences. » Or l'expérience, et particulièrement celle de la charité officielle et banale, telle qu'elle se pratiquait en Angleterre, avant lui. a démontré que ces distributions de secours par fournées et selon des listes arrêtées d'avance, au lieu de diminuer le nombre des pauvres et des mendiants et de les aider à se relever en cher- chant du travail, ne faisaient que les enraciner dans la paresse et dans la misère, en les accoutumant à compter sur autrui, et contribuaient à entretenir et à développer une tourbe de profes- sionnels de l'oisiveté et de la mendicité, honte et menace pour la société qui les nourrit, et se transmettant de père en fils leur esprit de révolte et de haine contre cette société. L'homme vé. r.A ME ECOSdMlQlJE H'i rit;il)lriiu'iit l)ic'iifais;iiil, piix-cdiirant ». Il y a, dans cluKUie profession et à chaque é|)(K|iie, un prix-coiii-unt des salaires et des ditîérentes sortes de salaii-es. suivant les localités ; et ces prix-courants, sansétreabsidusetsans empêcher des arrauKements particuliers plus ou luoins diiïérents, se maintiennent pendant un certain temps. Ils subissent cependant, lorsque les circonstances chan- gent, des modifications, parfois importantes, soit en hausse, soit en baisse ; et c'est ce qui arrive, notamment, quand une crise industrielle ou commerciale vient troubler gravement les affaires, quand un désastre financier ou une guerre altèrent les conditions du travail, ou quand une demande exception- nelle de tel ou tel article en fait subitement monter le prix. D'une façon générale, et sans empêcher ces variations par- tielles, on peut dire que le prix de la main-d'(iHivre, ou salaire, tend à s'élever, et que, même sans entente avouée, et, à plus forte raison, en se concertant, les salariés de chaque catégorie visent incessamment à faire accroître leur rémunération. Leurs réclamations, quand elles se traduisent sous la forme de dé- marches collectives, prennent le nom de coalitions ou de grèves. Et elles peuvent être plus ou moins accentuées, amiables et paisibles, impérieuses, menaçantes ou violentes. Elles sont, selon les cas, des manifestations incontestables de la liberté de discussion, ou des violations inexcusables de cette liberté. On se figure assez généralement que ces désaccords entre employeurs et employés, ces interruptions de travail et ces levées en masse de tels ou tels corps de troupes de la grande armée du travail sont des nouveautés, et l'on en accuse volon- tiers ce qu'on appelle le régime nouveau, ou la démocratie. On se figure que, sous l'ancien régime, quand le Souverain pou- vait dire, pour toute justification de ses décrets et ordonnances : « Car tel est notre bon plaisir, » il en était tout autrement, et que le grand troupeau de ce qu'on nomme un peu dédaigneu- sement la classe ouvrière accomplissait silencieusement sa tâche en acceptant, sans discussion, comme le bœuf accepte sa pâture, la rétribution qui lui était offerte. Il n'y a pas de plus grave erreur. De tout temps le monde du travail a été agité comme il l'est aujourd'hui. Des ordonnances de Fran- çois 1*^% à propos de réclamations des ouvriers imprimeurs de Lyon, enjoignent à ces artisans de se contenter des salaires et livrées auxquelles ils sont accoutumés, et, pour prévenir toute entente entre eux, leur interdisent de se réunir ailleurs que dans les « chambres et poêles » de leurs maîtres, « même pour ouïr messe en commun ». Les statuts de la Reine Elisabeth, H7 CUALITIO.WS ET GIŒ VES en Aiiîilelerre. v\ ilo la plupart des rois ses prétiécesseurs et successeurs, coiitieunenl des j)rescni)tioiis et intenJictious du inèine genre, jusqu'à ordonner aux cultivateurs de faire con- naître « le niunbre d'attelages de bœufs et d'hommes » qu'ils emploient; et à faire marquer, au front, de la lettre R. (robher, voleur) les ouvriers agric(des qui se déroberaient par la fuite à leur servitude. En Allemagne, les Juges de paix étaient investis du pouvoir de fixer d'autorité les salaires des diverses profes- sions. Kt lorsqu'en 17UI l'Assemblée Constituante abolit le ré- gime des corporations et maîtrises, elle prohiba, par un article spécial, u toute réunion d'artisans d'un même métier sous pré- texte de s'occuper de leurs prétendus intérêts communs ». Aussi, dans la première moitié du xix^ siècle encore, toute idée d'accord entre les intéressés au sujet des conditions de leur travail était-elle considérée comme illégale et sévèrement punie. Kn Angleterre. jus(iu"en 1825. tout concert. même pacifique, enti'e ouvriers, pour faire modifier leurs salaii'es. était qualifié de conspiration (Conspiracy. ) et traité en conséquence. En France jusqu'en 1803. il en était de même, et les coalitions et grèves, même sans violence aucune, tombaient sous le coup des articles du Code pénal. Aujourd'hui, dans ces deux pays, le droit de coalition est hautement reconnu, et l'on peut dire, qu'en fait au moins, il en est à peu jîrès de même partout. En principe, on ne peut qu'approuver cette réforme. Il est clair que, tout homme étant maître de sa personne et seul juge de savoir s'il lui convient ou non de consentira telles ou telles conditions de travail, on ne saurait refuser à un groupe plus ou moins nombreux d'hommes de formuler les mêmes prétentions ou les mêmes répulsions. L'homme isolé, eu face de la force, individuelle ou collective. que représente le patronat, est impuissant; ce n'est que par l'union qu'il peut arriver à se faire écouter. Mais cette union, tout comme la force capitaliste ou patronale, peut devenir oppressiAe. Et alors les rôles changent et ce n'est pas la liberté qui triomphe, c'est l'arbitraire ouvrier qui remplace l'arbitraire patronal. Ce n'est plus l'ouvrier réduit à travailler pour un salaire qu'il n'accepte pas, c'est l'ouvrier réduit à ne pas travailler pour le salaire qu'il accepte ; c'est le chômage imposé, quelque déraisonnable qu'il soit, par des minorités violentes à des majorités asservies. C'est l'industrie privée de sécurité par les brusques cessations de travail auxquelles elle est exposée. C'est l'incertitude partout, les contracts et les enga- gements les plus formels, à toute heure, mis en question, rom- LA VIE ECOSOMKJUE 88 pus avec ou sans prétexte, et toute prévision sérieuse devenue impossible. Expli(juons-nous bien ; il ne s'agit pas de rien retirer des libertés reconnues, et, sous prétexte d'ordre et de discipline, de rétablir l'ancienne suprématie du patronat. Il s'agit, au nom de la liberté vraie, de la lil)erté de tous, d'empêcher les uns d'être tyrannisés par les autres, et la violence et l'impro- bité de se tlonner carrière sans obstacle. La discution des con- ditions du travail doit être libre, absolument libre, aussi bien pour des groupes volontairement formés que pour des indivi- dus isolés, aussi bien pour les heures et la durée de la journée, ou l'installation des ateliers que pour le chiffre de la rémuné- ration. Mais, une fois un engagement contracté, il doit être observé, sans changement non réciproquement admis, jusqu'à expiration du temps convenu ou achèvement de l'ouvrage entre- pris. Si, dans l'industrie dont il est question, il j a un délai d'usage pour la mise à pied ou l'abandon de l'ouvrage, ce délai, d une part, aussi bien que de l'autre, doit être respecté. L'ou- vrier ne peut pas honnêtement demander son compte à la minute, pas plus que le patron le mettre dehors séance tenante. Si, individuellement ou en groupe, en équipe, un ou plusieurs hommes se sont engagés à exécuter, dans un temps donné et pour un prix de.... soit à forfait, soit à la journée, un travail déterminé, ils ne peuvent, sous aucun prétexte, exiger d'autres conditions avant d'avoir achevé l'ouvrage entrepris. C'est une question d'honneur, et c'est une question d'intérêt ; car agir autrement c'est compromettre la marche de la maison à laquelle on est attaché, peut-être de l'industrie que l'on exerce dans le pays où l'on est, et s'exposer à demeurer à pied définitivement. A plus forte raison doit-on s'abstenir, pour faire prévaloir ses prétentions, de toute intimidation, de toute violence, de toute injure et de tout sévice à l'égard soit des patrons dont on .veut obtenir des concessions, soit des camarades qui veulent rester en dehors du mouvement. Se livrer à de tels actes, altérer les produits que l'on doit fournir, endommager les outils ou les machines. « saboter », comme l'on dit, et s'imaginer que l'on joue innocemment un tour au « singe », c'est se con- duire en malhonnêtes gens et. qui pis est, en imbéciles. Car toute perte subie par l'entreprise retombe fatalement sur le personnel entier. Si le patron est ruiné, c'est la maison fermée et le personnel en plan. S'il n'est qu'atteint dans ses intérêts et sa sécurité, ce sont ses ressoui'ces et sa bonne volonté dimi- nuées et le salaire nécessairement réduit comme un cours d'eau 89 LES moi S -HUIT qui baisse, et dans Iei|(iei il est devenu plus dilllcile de puiser. Si l'on veut que les rouages d'une machine marchent sans grincer et sans se rompre, ce n'est pas du sable et du gravier (ju'il y faut mettre, c'est de l'huile. « L'huile, » dit un vieux proverbe, « est à moitié serrurier. » Liberté, respect mutuel et bienveillance, voilà les vrais secrets pour résoudre, au profit de tous, le problème social. l'une des causes de notre infériorité, PAR rapport aux FILATEURS ANGLAIS, c'est que nous TRAVAILLONS deux heures DE TROP. 1- t t t t i- t t -}- t OTTEVAERE, fllateur à Gand. Les Trois -Huit. jOILA une formule dont la fortune peut sembler extraor- dinaire. Inconnue ou peu s'en faut, dans la première moitié du xix^ siècle, elle est aujourd'hui un mot d'ordre, et le mot d'ordre d'une grande et puissante armée, de la plus grande et plus puissante armée qui tût jamais, l'armée inter- nationale des travailleurs. C'est en elle que se résume et se con- dense, pour ainsi dire, le plus clair de leurs revendications. C'est elle qu'ils inscrivent, dans toutes les langues, sur leur bannière, et c'est en son nom qu'à une date, qui tend à devenir légendaire, ils organisent, dans toute l'étendue du monde civilisé, des mani- festations dont il serait insensé de nier l'importance. Je ne m'en étonne qu'à demi. Et je ne suis point de ceux qui ne voient dans l'agitation en faveur de la journée de huit heures qu'une foi-me passagèi'e du perpétuel mécontentement qui tra- vaille les sociétés humaines. Je sais d'ailleurs que, si l'impo- pularité comme la popularité de la formule est relativement récente, la formule date de loin ; je surprendrai peut-être plus d'un de ceux qui me liront, en disant qu'il y a bien longtemps, pour ma part, que je la connais et que j'en suis partisan. C'était vers les premières années de cette utile publication qui a rempli et honoré la vie d'Edouard Charton : le Magasin pitto- resque. ^' LA ME ECONOMIQUE 90 Dans un court article, tel (|ue les uiiiiuit ce sage et liuhile homme de bien, je lisais, sous ce titre : Le Savant [onjeron, comment un artisan américain, Elihu Bijrritt, en divisant sa journée en trois parts. Tune ])our le travail manuel, l'autre pour le travail intellectuel et la troisième pour le repos et la réparation des forces, était arrivé rapidement à devenir tout à la fois l'un des meilleurs ouvriers et l'un des hommes les plus distingués de son paj-s. Je n'ai su que plus tard à quel degré de supériorité, par l'admirable emploi qu'il sut faire de sa vie, ce personnage, alors bien peu connu, devait arriver. J'ignorais que, non content d'acquérir et de posséder la plupart des connais- sances humaines, de parler presque toutes les langues et d'ex- celler dans presque tous les métiers, il marquerait parmi les véritables bienfaiteurs de l'humanité et travaillerait avec un zèle infatigable à répandre dans les deux Mondes les meilleures semences de la paix et de la justice sociale et internationale. J'ai dû à cet apostolat, dans lequel je m'honore d'avoir essayé de le suivre, d'entrer en relations personnelles avec lui, et il m'a été donné de l'entendre, à Londres, dans sa vieillesse, devant 2.000 personnes, rappeler qu'aucun homme peut-être, en Amérique ni en Europe, n'avait travaillé de ses mains plus durement qu'il ne l'avait fait. Mais, dès le premier moment, j'avais été séduit par cette judi- cieuse façon de mettre l'équilibre dans sa vie, et de faire, comme dit Xavier de Maistre, une part convenable à la bête et à l'autre. Ce qui n'empêche pas, je suis bien obligé de le con- fesser, que je n'ai guère suivi, à aucune époque de ma vie, avec une régularité suffisante, l'excellent régime de l'honnête Burritt. C'est que l'on ne fait pas comme l'on veut en ce monde, pas plus en haut qu'en bas et dans une condition que dans une autre. C'est que, il y a bien des choses qui nous commandent, et que rares, très rares, sont ceux qui peuvent arriver un peu à commander aux choses. Pour les uns, c'est le pain à gagner, la famille à élever ; pour les autres, la carrière à préparer ou à faire, les examens à passer, les diplômes à obtenir, l'avancement à assurer ; pour d'autres enfin et surtout peut-être pour ceux que l'on dit arrivés et auxquels on porte envie, les obligations de la clientèle, de la situation sociale, de la réputation, des services rendus, au nom desquels il faut en rendre de nou- veaux, le train de la vie qui emporte et qu'il est devenu impos- sible de modérer. Aussi, tout en demeurant, tout en étant de plus en plus par- 91 Lh:s TiwisnuiT tisan du régime do Biinitt, t(»iit en considérant, comme lo but vers lequel on doit tondre, ce partage raisonnable de la vie dont il a donné l'oxenipio, n'ai-je jamais pu S(»uscrire à l'idée de faire de cetU- formule, non plus que d'aucune autre, une règle uniforme et aveugle, encore moins de l'iniposer par la loi à toutes les catégories de travailleurs. Tous les travaux se res- semble-t-ils? Kt peut-il dépendre d'un législateur plus ou moins docile aux exigences des prétendus organes de la volonté populaiio do plier sous le môme niveau les faits et les volontés ? Tel labour épuisant ne peut être, sans inconvénients, poursuivi au delà i\v cinq ou six heures ; telle autre occupation moins pénible sera, sans fatigue sérieuse, prolongée le double de ce temps. Tel ouvrier robuste et, d'ailleurs, chargé de famille, pourra et voudra, en faisant une journée complète, se procu- rer un gain dont il a besoin; tel autre préférera ménager ses forces eu limitant son travail et son salaire. Les circonstances, d'ailleurs, ne commandent-elles pas, bien souvent ? C'est le hareng ou la sardine qui donnent : il faut les préparer sans délai ou tout perdre. C'est l'orage ou la gelée qui menace : il faut sauver la récolte ou rentrer les pommes de terre ou les bet- teraves. C'est une commande qui presse et qui doit être livrée à heure fixe : s'arrêtera-t-on parce que l'horloge aura sonné la huitième heure, ou parce que le législateur, dans sa sagesse, aura décrété que les jours se suivent et se ressemblent? Allez donc interdire au cultivateur de se lever, en été, avec le soleil, et de prolonger le soir, quand la lune donne, sa journée jusque dans la nuit. Prescrivez à la couturière, dont on attend la robe pour un deuil ou pour un mariage, de poser là son aiguille et ses ciseaux, et d'aller prendre tranquillement son repos parce qu'elle est à l'ouvrage depuis le matin ou parce que le travail de nuit est contraire à sa santé. Ils vous répondront que la nécessité commande. Et ils ajouteront, comme le fera la mère qui passe les jours et les nuits au chevet de son enfant malade, que la nécessité s'appelle souvent le devoir, et que du devoir chacun doit pouvoir rester juge. Oui, sans doute, il est désirable que la journée de travail soit réduite. Il est désirable, — et cela ne peut être obtenu que par le perfectionnement de l'outillage, l'amélioration des p-océdés et le développement du capital — que la puissance proluctive du labeur humain s'accroisse assez pour permettre de diminuer l'effort en en augmentant le résultat. Plus de pain et moins de sueur ! n'en déplaise aux apôtres du protectionnisme, qui se donnent tant de mal pour nous faire manger moins de pain avec LA VIE ECONOMIQUE i)^> plus (le siioiir. Mais ce progrès ne peut être accompli partout en même temps et dans la même mesure ; et, par conséquent, c'est une prétention vaine et dangereuse que celle d'imposer à toutes les professions et à tous les individus, dans la même profession, la même règle et les mêmes obligations. La dignité humaine, qui implique la liberté, s'y oppose. Je ne veux pas et je ne dois pas être contraint, môme à la sagesse, et il n'est pas bon que je le sois; car sagesse imposée n'est plus sagesse, et faire de la vertu une consigne, c'est lui enlever son mérite et son effica- cité. F/intérêt aussi, l'intérêt bien entendu y répugne ; car il n'est nullement nécessaire, pour arriver à réduire la journée de tra- vail, de recourir à la loi. C'est par des expériences librement faites, tantôt sur l'initiative généreuse et intelligente des chefs d'industrie, tantôt sur les réclamations des ouvriers, qu'a été commencé, dans la seconde moitié du xix" siècle, le mouvement qui a déjà réduit, dans un si grand nombre de cas, la durée effec- tive du travail '■. La plupart des industriels ne savent-ils point, aujourd'hui, et l'unanimité des économistes ne l'enseigne-t-elle point, que l'on peut obtenir bien souvent, en un nombre d'heures relativement limité, plus et mieux qu'en un nombre d'heures exagéré? La journée n'a-t-ellc point été réduite, dans une i^ar- tie des mines de l'Angleterre, sans l'intervention de la loi, non seulement à huit heures, mais à sept? Et, l'Association natio- nale des mineurs anglais, n'en faisait-elle pas, dans l'une de ses réunions annuelles, à Durham, la constatation solennelle ? Dans cette réunion, à laquelle assistaient les délégués de plus de cent mille mineurs, il était décidé d'envoyer au ministre une délégation chargée de lui présenter les objections des intéressés contre toute ingérence parlementaire dans la question de la du- çée des heures de travail. L'assemblée votait même, en termes plus généraux, une résolution condamnant toute ingérence légale dans les questions de travail. Que cette manière de voir se géacralisc ; (|uj les ouvriers, qui ont partout aujourd'hui la plus entière liberté de réunion et de discussion, veuillent bien comprendre que c'est à eux et I. Me sera-t-il iJcrmis de rappeler ici qu'en 1S69, à la suite des confé- rences faites par moi à Metz et auv usines d'Ars-sur-Moselle, alors en France, le travail du dimanche fut supprimé dans tous les ateliers qui n'étaient point à feu continu, et la journée de travail fut réduite d'une heure; ce dont les ouvriers me remercièrent par l'envoi d'un bel écusson en fer ouvragé, à mon chiffre, travail de leurs mains ? 1 9U L'ASSUHANCE non aux lonislatciirs à faire leurs alVuires, qu'au lieu de deman- der sous une l'orme plus ou moins eomminatoire et, par consé- quent, plus ou moins contraire à la sécurité publique, «jui est leur premier intérêt, dos mesures d'une uniformité aveugle et souvent impossible, ils fassent, selon les temps et les lieux, prévaloir leurs réclamations légitimes et, peu à peu, démon- trent, par les résultats, la supériorité de la journée réduite sur la journée prolongée. Et ils feront, ((u'ils me permettent de le dire, plus pour leur cause que ne pourraient faire, par une réglementation universelle, tous les parlements du monde. On leur parle tous les jours, pour leur malheur, de la propagande par le fait. La vraie propagande par le fait, c'est la propagande par la discussion et par l'expérience. Elle s'appelle la liberté. IL FAUT SAVOIR FAIRE LA PART DU FEU Dicton populaire. L'Assurance. ç) <> ç> a A vie de l'homme est livrée au hasard. Des événements imprévus, et souvent impossibles à prévoir, viennent -^ déranger ses calculs et anéantir ses espérances. La pluie, la neige, la sécheresse font périr ses moissons ou ses vendanges, la maladie emporte ses troupeaux, le feu détruit ses bâtiments ou ses bois, la tempête engloutit ses marchandises, les accidents et les infirmités le paralj'sent, la mort, enfin, en arrêtant son activité, prive sa famille du fruit de son labeur et met à néant toutes ses prévisions. Partout il est à la merci du hasard, et « du hasard », comme l'a dit La Fontaine, « il n'est point de science ». Si, il en est une, mais partielle seulement, conjecturale et Voir la discussion du 5 mai 1007, à la Société d'économie politique; {Journal des économistes du i5). LA VII<: ECONOMIQUE 94 imparfaite, suflîsante toutefois, non pour conjurer les événe- ments et prévenir les accidents, mais pour en atténuer, en les répartissant sur un grand nombre d'intéressés, les consé- quences les plus redoutables. Nous ne pouvons pas savoir que tel jour, et dans telles circonstances, telle maison brûlera, tel navire fera naufrage, tel champ ou tel vignoble sera .saccagé par la grêle, tel individu sera malade ou mourra; mais nous pouvons, grâce à l'observation et à l'enregistrement des faits do même nature ; grâce à ce (|u'on a appelé « la loi des grands nombres », savoir que, pour une période de...., pour un chiffre déterminé d'années, de personnes, de maisons, de navires ou de cultures, il y aura tant de maladies, de morts, d'incendies, de naufrages ou de récoltes ruinées. Et, forts de cette connais- sance, faisant en quelque sorte à l'avance la part du mal, et nous entendant pour répartir entre nous le dommage prévu, nous arrivons, non pas à supprimer le risque, mais à en atté- nuer les effets. Nous nous associons donc. Nous mettons dans une caisse com- mune, soit sous forme de mutualité, soit par l'intermédiaire d'une société qui nous garantit, en cas de sinistre, une indem- nité convenable, des sommes équivalant et au delà à ce que peut représenter, pour chacun de nous, la mauvaise chance à laquelle nous sommes exposés. En réalité, nous payons à tour de rôle la totalité du dommage qui nous atteint; seulement, au lieu de subir le sacritice en une fois et comme un désastre qui nous ruine et nous écrase, nous l'avons divisé en une série de dépenses partielles, dont aucune ne dépasse ce qu'il nous a été possible de prélever sur nos ressources régulières : au lieu d'un coup de massue, pour reprendre cette expression, nous ne rece- vons plus que des coups de baguette, toujours désagréables, mais non mortels. Et nous arrivons de cette façon non pas à empêcher la maison de- brûler, le navire de couler ou la mort de nous faire disparaître, mais à réduire, dans une proportion considérable, le dommage résultant, pour nous ou pour notre famille, du naufrage, de l'incendie ou de la mort. La maison est briilée, le navire est perdu, le chef de famille est enlevé à ses affaires et à ses affections ; mais une compensation a été prépa- rée, aux dommages matériels tout au moins. Par des sacrifices que l'on s'est imposés aux époques de sécurité, on a préparé une épargne pour le jour du sinistre. Admirable mécanisme, qui ne supprime pas le mal, encore une fois, mais qui per- met de le supporter î On a fait, comme dit le proverbe vulgaire, la part du feu, et tout n'est pas dévoré. 9o 1. EMl'lJil UE LlMPor qu'est-ce uosc yuE l'ijipot? est-ce une ClIAltCE IMPOSÉ!'. i'AU LA FORCE A LA t t* FAIBLESSE? LES DÉPENSES DU GOU- VERNEMENT AYANT POUR BUT l'INTÉRÊT DE TOUS, TOUS DOIVENT V CONTRIBUER; ET PLUS ON JOUIT DES AVANTACJES DE LA SOCIÉTÉ, PLUS ON DOIT SE TENIR HONORÉ d'en PARTAGER LES CHARGES, t 1" "t" î' TURGOT. L'Emploi de Tlmpôt. ç> ç> ç> JACQUES BONHOiMME. — Boa! voilà encore votre avertis- sement. M. le Percepteur, et il n'a pas diminué. Deux cents francs, sous des noms divers, dont le meilleur ne vaut rien, pour un pauvre diable de petit cultivateur comme moi! Deux cents francs ! Mais je ne viens pas à bout, à la fin de mon année, d'en mettre autant à la caisse d'épargne ou en rente sur l'Etat. On me dit que c'est pour mon bien, pourtant, qu'on me prend comme cela les trois quarts de mon pauvre gain. Je serais curieux de voir en quoi cela me profite. Le percepteur. — C'est bien facile, et si vous voulez nous allons essayer de nous en rendre compte. Jacques Bonhomme. — Voyons, je vous écoute. Le percepteur. — D'abord vous n'avez pas envie d'être volé, ni assassiné, ni incendié? Jacques. — Assurément. Le percepteur. — Eh ! bien, il y a une police et une magis- trature qui n'ont pas d'autre destination que de vous en préser- ver, des gendarmes qui parcourent la campagne, des gax-des- champêtres qui veillent sur vos récoltes, des pompiers qui combattent les incendies et des juges qui font respecter vos droits. Jacques. — Pas gratis, ce me semble! J'ai eu un petit procès l'an dernier, avec Jean-Pierre, qui avait déplacé une borne et voulait me manger un ou deux sillons. Il a été condamné, c'est vrai, et j'ai gardé mes sillons; mais Dieu sait ce que cela m'a coûté en courses, en audiences, en papier timbré, en avocat et en avoué ! Enfln passe pour cela, quoiqu'il me semble que la justice pourrait être à meilleur marché. Le percepteur. — Vous avez besoin de routes, pour faire vos LA VIE ECOyOMJQUIC 96 courses et porter vos denrées au marché. Il laut des ingénieurs, des agents-voyers, des cantonniers, des ouvriers pour extraire les pierres, des terrassiers, etc. Tous ces gens-là vous servent ; ji'est-il pas juste que vous et tous ceux qui, ainsi que vous, profitent des voies de communication, vous contribuiez à les payer ? Jacques. — Sans doute ; aussi je ne chicane pas sur ce cha- pitre et je suis prêt à payer ma part des services que l'on me rend. Mais je trouve un peu bien dur, je vous l'avoue, de payer encore pour des choses dont je ne jouis pas : pour les théâtres de la ville, par exemple, ou pour les courses de chevaux, aux- quelles on va s'écraser et perdre son argent. Le percepteur. — Mais, mon cher Jacques, il faut bien que l'Etat encourage les arts et qu'il perfectionne la race chevaline. Cela coûte très cher les arts ; les musiciens et les danseurs sont hors de prix, les danseuses surtout, et les décors et les cos- tunies et le reste ! Si l'Etat ne subventionnait pas l'Opéra, le Théâtre-Français et d'autres, vous ne pourriez plus avoir ces représentations admirables qui attirent le monde élégant du reste de l'Europe et font de Paris et de nos grandes villes des foyers de lumière et de goût. Et les chevaux, mon cher Jacques, voyez donc avec quel entrain on va les voir courir, quelle foule, quelle animation ! Et quel enthousiasme quand nous battons les Anglais ! Cela rend fier de son pays ! Jacques. — Ma foi, monsieur le percepteur, soyez fier de la victoire d'un jockey et du jarret d'un cheval tant que vous vou- drez, je n'y vois pas de mal ; mais permettez-moi de penser, moi qui ne vais pas aux courses et n'ai que faire de vos pur- sangs, que mes francs ou mes sous — qui y vont et n'en reviennent pas — seraient mieux employés à acheter des outils ou de l'engrais pour améliorer ma culture et à procurer un peu plus de pain, et à meilleur prix, à mes compatriotes qui en manquent ou le trouvent trop cher. Que votre beau monde, qui se montre à vos représentations artistiques, musicales, hip- piques ou chorégraphiques, aille y étaler ses toilettes et son ennui ; mais qu'on ne vienne pas me prendre, à moi qui ne me soucie pas de tout cela, mon pauvre argent, dont j'ai besoin. Et là, franchement, croyez-vous vraiment que ce soit bien utile toutes vos courses et toutes vos fêtes ? Vous mettez en l'air toute la population. Des ouvriers qui auraient besoin de gagner leur journée, des boutiquiers qui devraient être à leurs affaires et attendre le client pour le servir, prennent l'habitude de cou- rir et de perdre leur temps ; ils s'exposent au froid, au chaud. 97 LEMPLOl DK LIMPOT à la pluie: ils dépenst'iil. ils parioiil, ils se ilOiiioralisciil et ils se ruinent, quand ils ne font pas pis. .le ne sais si l'on a réelle- ment, depuis (|u'on s'occupe tant des bêtes et si jieu des hommes, amélioré la race chevaline ; mais je crois qu'on a sinjiulière- ment détérioré la race humaine et vidé sa bourse. Cela ne fait pas compensation. Le perceptetir. — Vous êtes de mauvaise humeur, mon ami. C'est beau cependant, je vous assure, de voir passer comme le vent ces cavaliers qui se disputent le prix, ou d'assister à l'une de ces magnifiques soirées de notre grande Académie nationalç de musique. Vous ne résisteriez pas à l'enthousiasme si vous y étiez. Jacques. — Possible, monsieur le percepteur; mais je n'y suis pas ; encore une fois, il n'y a que ma bourse qui y est, et ce n'est pas la même chose. Le percepteur — Oh! c'est si peu ce que cela vous coûte! Ce n'est pas là ce qui grossit sensiblement votre cote. Jacques — Et quoi donc alors? Le percepteur, — Mais lu défense nationale, l'entretien de notre armée et de nos flottes, la fabrication de nos canons et de nos sous-marins, l'extension et la garde de noti'e doiBaine colonial, le plus vaste du monde apx*ès celui de nos amis les Anglais. Jacques. — Ah ! oui, en effet, cela nous coûte gros, à ce qu'il paraît, et j'en supporte ma part, sans compter que cela m'a déjà coûté un fils, qui est mort de la lièvre en Afrique, et que j'en ai un autre qui vient de partir pour le Maroc, et qui me manque fort pour faire les semailles. Le percepteur. — Sans doute, sans doute; mais la gloire, Jacques, la gloire, l'honneur du drapeau, le prestige du nom Français ! Jacques. — Je suis patriote, monsieur le percepteur. J'ai fait mon devoir quand la patrie a été attaquée, et mes blessures ne me permettent pas de l'oublier. Mais, à parler franc, si j'ai trouvé mauvais qu'on vint nous attaquer, et si je considère comme le premier des devoirs de défendre sa terre natale, je ne vois pas bien ce qu'il peut y avoir de beau à aller disputer aux autres le sol qu'ils habitent, et réduire en servitude des hommes qui ne demanderaient qu'à vivre tranquilles chez eux et à commercer librement avec nous, c'est-à-dire à travailler pour nous, à la condition que nous voulions bien travailler aussi pour eux. Nous avons envie ou besoin du thé, du café, du cacao, du coton, des fruits, du cuivre ou de l'or des peuples LA VIE l'.COSOMKjVE \)H ôlrangers, cl ces peuples ont besoin des proiluits de notre sol ou de notre industrie, de nos arts, de nos étoiles, do nos meubles. Est ce que nous ne pourrions pas, une bonne l'ois, nous entendre les uns avec les autres pour cesser de nous faire du mal et garder nos enfants et notre argent? Le percepteur. — Jacques Bonhomme, mon ami, vous -m'in- quiétez, .le vous croyais un homme pratique, et voilà que vous donnez dans les idées de ces fous qui veulent nous persuader de laisser les autres tranquilles pour (ju'ils nous laissent tran- quilles. Nos gouvernements sont plus sages que vous, heu- l'eusement. Ils continueront à vous prendre votre argent pour fabriquer des canons et des navires de guerre avec le fer que vous auriez la sotte fantaisie de changer en charrues et en moissonneuses, et ils vous prendront vos fils pour les envoyer à la gloire. Jacques Bonhomme. — A la gloire, monsieur le percepteur, ou à la mort ; et, finalement, nous tous à la misère et au déses- poir. IL n'y a u'àmoutissement réel que t t lorsqu'il y a diminution effective du PASSIF, f -^ 'ir -^ -ir -f -i- -ir t -t ir Sadi CARNOT. L'AmorHssemenh ^ Ci ^) '•^ORRUPTIO OPTIMI PESSIMA. Rien de pire que l'abus des bonnes choses. Cette maxime convient tout particu- 'lièrement à l'amortissement, pratique excellente et pré- caution salutaire ou dangereuse illusion et ruineux expé- dient, selon la façon dont on le comprend et l'usage qu'on en fait. Le capital, ai-je dit, ne se conserve pas naturellement comme on le croit trop souvent. 11 se renouvelle, et, si l'on n'a pas soin de le renouveler, il périt. Une maison se détériore par le temps, même et surtout si elle ne sert pas ; un navire se fatigue et n'est plus, au bout d'un certain nombre d'années, qu'une vieille carcasse bonne à démolir. Les machines, les outils, sont mangés par le travail et^encore plus par la rouille, ou, s'ils se 99 L'AM()1{T1SSKME\T conservent niatériollenient, dépérissent nioralcnicnt par la diminution de valeur que leur l'ont subir les appareils nouveaux et les procédés perfectionnés, 11 est donc sage, si l'on ne veut pas voir Tondre entre ses mains les ressources que l'onpossède, de les reconstituer, à mesure de leur dépérissement, par des prélèvements opérés sur le produit que l'on en tire ; et, dans toute entreprise bien conduite, une somme annuelle est déduite des recettes, pour compenser cet inévitable dépérissement : c'est l'amortissement, plus ou moins considérable selon les cas, faute duquel on va à la ruine. Les corps publics, les villes, les provinces, les Etats (lorsque, par de grands travaux engloutissant des sommes considérables, grâce à des emprunts souvent, ils se font entrepreneurs et indus- triels) sont soumis à la même loi, et, s'ils veulent gérer leurs affaires en bons pères de famille, ils sont tenus démettre chaque année, dans leur budget, unj article pour l'amortissement de leurs dettes et de leurs capitaux investis. Mais cet amortisse- ment, par suite d'une illusion dont l'origine remonte à un savant Anglais, le docteur Price, reste le plus souvent fictif, et les déficits causés par les emprunts et par les excédents de dépenses, qui les rendent nécessaires, loin de diminuer du fait de cet artifice de compabilité, ne font que s'accroître en quelque sorte automatiquement. Le docteur Price. mathématicien habile, (il n'était pas néces- saire d'être un Newton ou un Pascal pour trouver cela), avait constaté que si, eu faisant une dépense ou en contractant un emprunt, on plaçait à intérêt compo«é une fraction, même peu considérable, de la somme engagée, cette somme, par le jeu naturel de ses intérêts, se trouvait, au bout d'un nombre pro- portionnel d'années, naturellement reconstituée. En sorte, con- cluait-il, que l'on peut trouver, dans l'emploi de la somme empruntée lui-même, la garantie de son remboursement et la sécurité de son avenir. Assurément, mais à une condition : c'est que le jeu naturel de cet amortissement prévoyant ne soit pas contrarié par de nouvelles dépenses qui l'annulent, ou creusent un nouvean déficit ; et que, pour maintenir à son budget un article amortis- sèment, on n'y inscrive pas des dettes ou des dépenses égales ou supérieures. Or c'est ce qui n'a pas manqué d'arriver, dans les budgets publics surtout. Les ministres, pour aligner leurs comptes, ou pour faire accepter des ouvertures de crédits plus ou moins avouables, se disaient à eux-mêmes et disaient aux députés et aux contribuables : « Soyez sans crainte, nons avons LA Vit: ECOyoMKjl'h: iOO pris nos précautions. L'amortissement est notre assurance, et nous ne manquerons pas de payer la prime tous les ans. » lis ne la payaient pas toujours. Elle a été bien des fois suspendue, et, quand ils la payaient, c'était au prix d'un emprunt de plus, dont l'amortissement s'obtenait par le même procédé et dont le poids s'ajoutait à la dette. C'est ce que l'on appelle,- trop justement, découvrir saint Paul pour couvrir saint Pierre, ou boucher un trou en en luisant un autre. « Il n'y a» comme Ta proclamé un jour rhounéte Sadi Carnot, « d'amortissement réel ({uc lorsqu'il y a diminution etfective du passif». Particuliers ou Etats, la loi est la même pour tous. Et pour arriver à ce résultat, il faut ou réduire les dépenses ou augmenter les recettes. On a posé parfois la question inverse. Que doit-on faire quand on est en face d'un excédent de recette? Je dis d'un excédent réel. Le cas est si rare que l'on peut se demander s'il est bien utile de le prévoir. Mais, puisque la question a été posée, essayons d'y répondre. Quand on a un excédent de recette, et que l'on ne veut pas se presser d'en profiter pour se permettre des dépenses inu- tiles, il n'y a, ce semble, que deux partis à prendre : ou dimi- nuer les impôts — ce qui soulagera le contribuable et encou- ragera son activité — ou rembourser une partie de ses dettes (ce qui amènera comme conséquence une diminution moindre, mais réelle, des dépenses, en réduisant le chiffre des intérêts à payer). Il parait difficile de dire à l'avance, et pour tous les cas, lequel des deux partis doit être préféré. Si, parmi les impôts existants, il en est de plus onéreux que d'autres, gênants et par eux-mêmes et par les formalités compliquées et vexatoires qu'ils entraînent, fatalement inégaux par l'impossibilité de les proportionner aux différents degrés d'aisance ou de pénurie des contribuables, ce sont ces impôts, évidemment, qu'il faut réduire, supprimer quand on le peut, en faisant de ces dégrèvements qui augmentent, comme le disait Gladstone, la puissance productive du contribuable. Si, parmi les emprunts contractés, il en est qui aient été émis à des conditions désavcintageuses, à 8 ou 9 ^'/o par exemple, comme ceux du début de la Restauration, et que, par suite de l'amé- lioration du crédit, l'intérêt soit tombé à un taux moins élevé, à 5, à 4, à 3, il n'est pas moins évident qu'il est désirable de rembourser ces emprunts ; ce qui aboutira encore à permettre de diminuer les impôts. Il est vrai, malheureusement, que le choix peut être difficile à 101 LE PRIX nu PAIN faire, car il est rare, a la faroii tloiit les événements politiques nous ont traités, dans tous les pays dits civilisés, et dont nos linunces ont été gérées, nue nous n'ayons pas ;\ lu fois à sup- porter des impôts mal établis et des dettes plus lourdes que de raison, (l'est un pioldème de circonstance, à résoudre, s'il est possible, avec un sentiment sincère delà justice et de l'intérêt réel du contribuable. 0\ peut manquer de tout, se priver de tout; on ne peut ni manquer, ni se priver de pain. et il ne suffit pas qu'il y EN AIT ASSEZ, IL FAUT ENCORE qu'il ne soit PAS TROP CHER, t 1" "l" + MELINE. (Discours faisant connaître ofliciellement « les raisons très sérieuses qui ont amené le gouvernement à écarter les droits sur les blés »). Le Prix du Pain. «> ^ ç> JACQUES BONHOMME. — Voilà le pain qui augmente ; il était déjà bien cher. Le Gouvernement ne devrait pas tolé- rer cela ! Pourquoi ne fait-il pas une bonne loi pour empê- cher les cultivateurs, les meuniers et les boulangers de spéculer sur la misère du pauvre peuple ? Si nous sommes obligés de regarder à ce que nous mangeons, comment veut-on que nous travaillons ? Quand l'estomac est creux, les bras ne sont pas solides. — Vous avez i-aison, mou ami, c'est très malheureux que le pain soit si cher ; mais le Gouvernement n'y peut peut-être pas autant que vous le crojez, et, s'il y peut quelque chose, ce n'est pas de la façon que vous pensez. Quand la récolte n'est pas bonne, il faut bien que nous fassions attention à ne pas gaspil- ler le pain, car si nous en mangions ou en gâchions autant que lorsqu'il est abondant, il arriverait que nous n'en aurions pas assez pour aller jusqu'à la récolte prochaine. Or il n'y a qu'une chose qui puisse nous avertir et nous rendre économe, c'est le Voir mes discours à la Chambre des députés sur la Question Douanes, i885 et 1886: La liberté du Commerce et les Traités de Commoi>.o, conférence (Alcan). V. également mes discours en commémoration de Cobden et de Bastiat, à la Société d'économie politique. merce, I.A VII': KCOXUMKjUh: iU2 l't'iiclierisseinent. Le (iouvcnienient aurait beau mus dire, par des alliches et des ordonnances : « Faites attention, l'année n'a pas été bonne; ne mangez pas trop et né donnez pas de pain aux cbiens et aux poules^; » nous n'tn ferions ni plus ni moins. Mais si le pain coûte un sou de jdus le kilog., ou le demi- kilog. ; si, dans un ménage de cinq ou six ptr^diuts, ] ç> ç> <Ç\ E mot est nouveau ; il ne date guère, comme usage cou- 1 1 l'ant au moins, que du second tiers du xix'= siècle, et c'est c^aJ à Louis Reybaud, auteur d'études sur les Réformateurs sociaux, que l'on en attribue, en général, la paternité. La chose est vieille comme le monde. Platon, dans ses deux ouvrages La République, et Les Lois, n'a pas laissé grand'chose à ajouter à ses successeurs en fait de pétrissage de la pâte humaine. L'on n'a jamais exposé en plus belle langue les avan- tages de la communauté des biens et des femmes, et plus savam- ment réduit le bonheur de l'espèce humaine à celui d'un trou- peau, sous la houlette de fer d'un maître, nourri, logé, marié, comme on marie l'étalon et la jument ; conduit au travail, à retable et au pâturage, par des bergers infaillibles, dispensé même, par une prévoyance touchante, du souci de la famille, et ne gardant, de la naturelle distinction des sexes, que ce qui est indispensable pour assurer, sous l'œil vigilant de l'Etat, la continuation de l'espèce. Les Chrétiens, au début, dominés par la préoccupation et l'attente de la prochaine fin du monde, auraient été, selon beau- coup, une société étrangère aux lois et aux distinctions ordi- naires, ne reconnaissant ni pi-opriété personnelle, ni différences de rangs et d'autorité ; et toute une succession de prophètes civils, ou religieux, les Campanella, les Thomas Morus, les Anabaptistes, les Babeuf et les Buonarotti, sans parler des Ma- rat et des Saint-Just, ont précédé les Saint-Simon, les Fourier, les Cabet et les Proudhon. Rêveurs étranges, tantôt violents et tantôt doux, mêlant aux intentions les plus généreuses et aux plus justes révoltes contre de réelles iniquités, de monstrueuses Voir ma brochure Communauté et Communisme ; et ma conférence: L'Ecole de la Liberté. LA VIE ÉCONOMIQUE 108 ignorances et d'inexcusables colères contre les lois fondamen- tales de la société ; et compromettant, par l'exagération, ce qu'il y avait de plausible dans leurs critiques et leurs aspira- tions. Mais c'est vers le milieu du xix'^ siècle, après la Révolution de 1848, que les prédications dites sociales ont pris une ioipor- tance qui n'a pas cessé de s'accroître depuis, et se sont impo- sées à l'attention des penseurs et des Gouvernements. A cette époque, malgré la diversité des écoles, elles avaient un .sens général bien apparent et un caractère commun, sous des formes diverses. Avec des pi'Ogrammes qui se prétendaient souvent contradictoires et hostiles, elles tendaient toutes plus ou moins à renverser l'ordre établi. Quand on parlait de la liépublique sociale, ou de la Sociale, on entendait bien renouveler de fond en comble, par une révolution violente, l'état de la société. Aujourd'hui, il y a encore, assurément, des partisans de la violence, peut-être y en a-t-il davantage ou de plus déterminés ; mais le mot de socialisme, en servant de réclame à un plus grand nombre de politiciens, a perdu tout sens exact et précis ; et se qualifient indistinctement de socialistes tous ceux qui, à un titre quelconque, ont la prétention de s'occuper d'amélioi'a- tions sociales. Le trait commun qui les réunit, c'est la foi à l'intervention de l'Etat, dans le domaine des intérêts privés, et l'incessant appel à des règlements et à des mesures admi- nistratives pour imposer aux citoyens, bon gré mal gré, un modèle officiel de pensée, de croyance ou d'incroyance, de tra- vail et de vie. C'est la superstition de l'infaillibilité de l'Etat, confisquant à son profit, et pour leur prétendu bonheur, l'ini- tiative des individus. Mais l'Etat, comme je l'ai dit, un peu irrévérencieusement quelquefois, c'est un monsieur, ministre ou chef de bureau, qui sera remplacé, demain ou après-demain, par un autre monsieur voyant les choses tout autrement, mais pareillement convaincu de sa supériorité. .Je me serais bien mal expliqué, dans les différents chapitres de ce volume, si l'on n'avait depuis longtemps compris que ce que je considère avant tout comme erroné, dangereux, et. pour dire le mot, anti- social, c'est précisément cette commune confiance dans le rôle providentiel de l'Etat. C'est cette substitution d'une direction exté- rieure, et supposée supérieure, à l'initiative individuelle et à la responsabilité personnelle. C'est la foi à l' Etal-Providence, supprimant, affaiblissant du moins, et déviant souvent, la foi à la liberté et à l'expérience, chargée tout ensemble de nous éclairer et de nous stimuler. La liberté, c'est le tout de l'homme ; \m SOCIALISME l'autorilé ((jii'oii lui oppose souveni, cl au nom de laquelle les uns préteiulcnl rannuicr, et les autres, croyant la servir, vont jusqu'à nier toute rèyle et toute puissance publique) l'autorité, dis-je, c'est la garantie de la liberté, le bouclier du droit, la force commune chargée de réprimer les atteintes à l'exercice des libertés individuelles. Je n'ai pas besoin d'ajouter que je ne me proclame pas socia- liste, ni dans le stns de 1S48, ni dans le sens, vague et indé- lini, mais interventionniste, d'aujourd'hui. Je tiens à dire tou- tefois ([ue si, dans les colères déchaînées par ceux qui se croient par excellence des conservateurs de l'ordre social (comme s'il pouvait y avoir conservation sans vie, c'est-à-dire sans mouve- ment), aussi bien que dans les fureurs de ceux ([ui veulent tout changer et même détruire, il y a une grande part d'erreur, d'exagération et d'injustice ; on ne saurait nier, quand on est de bonne foi. que, parmi les reproches adressés à l'état actuel de nos sociétés, de nos habitudes, de nos préventions et de nos préjugés, il n'y ait une part de vérité; on ne saurait nier que, sous ces attaques souvent injustes, et derrière fces programmes irréalisables et dangereux, il n'y ait un fond d'aspirations sin- cères, bien que mal définies, vers un idéal de justice, de paix et de fraternité. Au lieu de répondre à la colère par la colère, à la haine par la haine, aux prétentions excessives et injustes par la condamnation en bloc de toute réclamation et de toute ambition, on ferait mieux de chercher, dans une discussion loyale, à dégager la vériié de l'erreur, les sentiments avouables des emportements inavouables, et à faire, en même temps que la critique conscencieuse des doctrines des autres, la révision de ses propres erreurs et de ses propres préjugés. Peut-êti'e arriverait-on ainsi à constater, de part et d'autre, que l'on se méconnaît, et à travailler ensemble pour le bien commun, au lieu de travailler les uns contre les autres, pour le mal de tous. Un apologue, que j'ai quelque lieu de croire véritable, et que je titns d'un des meilleurs amis et serviteurs de l'humanité que j'aie connus, en dira plus sur ce sujet que tous les raison- nements du monde. Le voici : C'était en novembre, dans un pays de montagnes, où l'on con- serve le souvenir de prétendus géants qui auraient autrefois infesté la contrée. Le brouillard du matin obscurcissait l'atmos- phère, et le soleil ne l'avait pas encore percée. Un brave cam- pagnard, désireux d'aller voir son frère à quelque distance de chez lui, s'était mis en route, armé, pour plus de sûreté, d'un solide bâton. A un détour, au miheu de la brume, il aperçoit LA VIE ECONOMIQUE i\(i tout à coup ikvanl lui un être étrange, de grande taille et d'ap- parence menaçante. Il n'y avait pas à reculer. Il se met en défensa et niarclie résoluiniMit vers li» monstre, kMjuel. de son côté, sonibL' prêt à ratta(iue. (^(spiîiulaut, à mesure (jiie notre paysan s'en approclie, l'ennemi lui paraît moins elt'rayant. « On dirait presque que c'est un homme, môme un homme du pays ». Et voici qu'un coup de vont ayant déchiré le brouillard, et le soleil se montrant, il reconnût que c'est son frère, sou propre frère, qui, poussé du même dessein, s'était mis en route, lui aussi, pour le voir. Je n'ajoute rien. LE PIED N EST PAS L ŒIL ; ET L ŒIL N EST PAS LE pied; mais tous deux soxt du CORPS. -J- -{--}- -^ -J' -l' -[- -^ -f -f- -f SAINT PAUL. Solidarité. « ^ « ON parle ht pas tort, gine avo: beaucoup, aujourd'hui, de solidarité, et l'on n'a Maison se trompe peut-être quand on s'ima- gine avoir annoncé au monde une vérité nouvelle en lui rappelant que nous ne sommes pas indépendants les uns des autres, et que l'intérêt, comme le devoir, nous com- mande l'union, la justice et la bienveillance. Nos pères de 1789 avaient inscrit la Fraternité dans leur devise, et longtemps avant eux elle avait été proclamée par la philosophie et par la reli- gion. Nous sommes les membres d'un grand corps : Membra sumus corporis magni, avait dit le païen Sénèque, et saint Paul, dans ce qu'on pourrait appeler ses ^mandements, avait écrit : « Le pied n'est pas l'œil, et l'œil n'est pas le pied; mais tous deux sont du corps, et ce qui nuit à l'un nuit à l'autre. Vous êtes tous frères ». Le 'même saint Paul, à une autre page, nous avait rappelé non moins énergiquement notre dépendance mutuelle et notre dette à l'égard de nos semblables, connus ou inconnus. « Qu'as-tu, que tu n'aies reçu? » Qu'as-tu, en d'au- tres termes, dont tu ne doives compte ? C'est l'idée dont se sont inspirés les chefs contemporains de m SOUDA RIT h: l'école solidariste, vt vu paiticiiliti- le plus populaire et le plus distingué »le tous, M. Léon Bourgeois, qui Ta exagérée et (qu'il nie permette de le dire respeetueusenient) défigurée, en préten- dant faire d'une oMigalion morale tpii s'impose à notre con- science une prescription civile, formulée en créances légales sur chacun de nous ^ La société, nous dit-il, par les idées, les connaissances, les ressources qu'elle a mises à votre disposi- tion, par la protection qu'elle vous a assurée, a participé à vos travaux, et vous lui devez une part très considérable de vos succès. Elle est fondée à vous considérer comme son débiteur et à vous présenter sa créance. Elle le fera, entre autres, en prélevant, à votre mort, sur l'actif qu'elle vous permet ^de laisser à vos successeurs, une quote-part représentative de l'assistance qu'elle vous a fournie; et vos héritiers seraient mal venus à s'en plaindre, car ce qui leur restera, après ce pré- lèvement, sera encore, pour eux, tout bénéfice. Je remarque d'abord, ou je rappelle, que les héritiers, dans beaucoup de cas, ont été plus ou moins les artisans de la for- tune de leurs auteurs, et que, lorsqu'ils n'y ont pas travaillé effectivement, c'est pour eux et à cause d'eux qu'avaient tra- vaillé leurs ascendants ; en sorte que, frustrer ceux-ci de la satisfaction de transmettre à qui bon leur semble le fruit de leurs sueurs et de leurs privations, c'est les atteindre eux- mêmes et les décourager dans leur laborieuse carrière. D'où un préjudice pour la société, qui, en déshéritant ses membres individuellement, se déshérite elle-même. Car, s'il est vrai que chacun de nous, dans ce qu'il est et ce qu'il peut, doit beaucoup à la société, c'est-à-dire à l'ensemble des contemporains et de ses prédécesseurs, jusqu'aux plus anciens, aux plus ignorés, et aux plus humbles, il n'est pas moins vrai que tout ce que Ja société est, sait, peut et possède, elle le doit à ses membres. S'il y a dette et créance, donc, elle est réciproque. Et qui sera capable d'en faire le compte? Qui osera dire à un Jacquart, à un James Watt, à un Stephenson, à un Fulton, à un Pasteur ou à un Berthelot, quand bien même il aurait de ses décou- vertes ou de ses inventions tiré des profits immenses, qu'il est débiteur de son siècle et de son pays, et qu'il lui faut rendre gorge en la personne de ses enfants '? I. \oir Solidarité du Capital et du Travail; coniérence a la société pro- testante du Travail. GuilJaumin-Alcan ; et la discussion à l'Académie des sciences morales sur la Solidarité. LA VIE ECONOMIQ UE 112 Ne vaut-il pas mieux, vraiment, eu respectant les intentions des uns et des autres, laisser la i)art de la société et de ses membres se régler d'elle-même, par le libre jeu des transac- tions ? Stcphenson, enrichi par ses grandes inventions, laisse à son fils Robert, devenu le plus grand ingénieur de l'Angle- terre, une fortune dont il lui a montre à Caire un noble emploi ; c'est tant mieux pour ce fils. Mais l'Angleterre, l'Europe "et le monde, à peri)étuité. jouissent et jouiront des inventions de son père, et, comme l'avait annoncé celui-ci, en appelant la voie ferrée « le grand chemin des peuples et des rois », il n'est pas un ouvrier qui, en prenant le tx'ain pour se rendre à son travail au lieu d'y aller péniblement à pied, ne fasse une économie de peine et, souvent, d'argent. Est-il vrai d'ailleurs que, pour les services qu'ils reçoivent de la société, ses membres n'aient rien payé et lui restent indéfi- niment redevables? S'ils vivent par elle, en partie au moins, n'est-ce pas par.eux. et par eux seuls, qu'elle vit, et pouriait- elle subsister sans leur contribution (le mot est expressif) à son existence? Ce n'est pas exagérer que de dire que cette contribu- tion, de nature ou d'autre, dans le cours d'une vie moyenne, représente plusieurs fois la totalité de la fortune possédée à la fin de cette vie. Il est trop facile enfin de prendre son parti des charges sup- portées par les héritiers, voire de l'expropriation partielle dont on les menace, sous prétexte de reprise. N'y eut-il. sans parler du retranchement de capital, que la nécessité d'acquitter, dans un délai de quelques mois, des frais et des droits de succession, pour lesquels on manque de ressources, c'est souvent la gêne, la ruine même. On n'a pas, même quand on est à l'aise, la somme, toujours relativement grosse, qu'il s'agit de débourser, le dixième du capital reçu ou davantage. Ce qu'on reçoit est en terres, en maisons, en parts d'une usine ou d'un commerce, toutes choses qui ne se réalisent pas sans pertes considérables, ou ne se réa- lisent pas du tout. Il faut ou vendre dans les pires conditions, ou emprunter à un taux exorbitant, et c'est la ruine. Un exemple, qui montre bien les inconvénients de ces charges in- attendues qui grèvent les successions et écrasent les héritiers. Ce sont les ai-ticles 829 et suivants, relatifs au rapport, qui sont ici en cause. Un homme riche, ou d'une belle fortune au moins, marie sa fille, et, pour la bien marier, lui donne une dot relativement élevée. Son gendre, industriel ou négociant, met la dot dans ses 11.! EGALITE affaires, augmente son usine ou agrandit ses magasins et se charge d'un loyer plus lourd. Le père meurt; il faut rapporter à la succession ; mais ou est à une époque de crise (c'était. dans le cas aucjuol je pense, au lendemain de la Révolution (le 1S4S). Le malheureux est exproprié, et le beau-père, pour avoir voulu Caire faire à sa fille un mariage avantageux, se trouve l'avoir ruinée. Telles sont, hélas! les répercussions im- prévues des événements, et les désastres que, par leurs contre- coups, peuvent entraîner des charges jugées à tort insigniliantes ou légères. La société, en somme, n'est pas, comme le prétendait le Roi au nom de ce qu'il appelait son <( domaine émineut » ou son H droit régalien », propriétaire ou copropriétaire de la fortune des citoyens. Elle n'a à prétendre sur cette fortune qu'au rem- boursement de ses frais de protection des personnes et des biens. Elle peut, (juand cela est nécessaire, lever sur les reve- nus des taxes calculées au plus bas prix et perçues avec le moins de gènes possibles. Elle n'a aucun titre à s'attribuer, sur ce fruit des activités individuelles, une part, qui serait bientôt, par un trop facile entraînement, la part du lion, et qui. eu dé- courageant le travail et en entamant le capital, tarirait, avec la prospérité publique, la source de ses revenus. Qu'elle se sou- vienne de la poule aux œufs d'or ! l'inégalité égalise; la cherté gratifie et la propriété commuxalise. ± ^ 'v Égalité. r'^^X^OUS les hommes sont égaux, tous sont faits de la même a pâte et bâtis de la même façon ; tous devraient être traités de même et avoir même part aux biens de ce monde, même fortune, même logement, même cuisine et le reste. Egaux? Où avez-vous vu cela, s'il vous plait? Je suis grand, mon voisin est petit ; je suis fort et adroit, il est maladroit et faible. Vn autre a, comme on dit, bon pied bon œil, son voisin est sourd, ou myope, aveugle même, et un troisième est boi- teux, pied-bot ou bossu. Tel a bon estomac, et tel autre souffre LA VI E ECONOMIQUE 114 perpéluelltMiicnl de crampes ou de co!i Yl L ne faut pas faire fi du nombre. Le nombre par lui-même Il est une force. Cent hommes peuvent, évidemment, ce que ne V' peuvent pas cinquante ; ils peuvent même souvent plus du double, parce qu'il y a des œuvres pour lesquelles un certain degré de force ou une certaine diversité de travaux sont indis- pensables. Mais il n'y a pas que le nombre, il y a la valeur des unités. La quantité n'est pas tout ; la qualité est davantage. Donc, LA VIE ÉCONOMIQUE US comme l'a dit Malthus, si étrangement méconnu, il (anl désirer d'abord que les hommes soient honnêtes et heureux, et ensuite qu'ils soient nombreux. Pour avoir des hommes honnêtes et moraux, il faut les éclai- rer sur leurs véritables intérêts, sur leurs droits et sur leurs devoirs. Il faut leur faire comi)rendre que le travail et l'écono- mie sont les seuls instruments certains de leur prospérité et que l'on ne gagne rien, ni comme individus ni comme peuples, à jalouser ou à contrarier le développement d'autrui. La prospé- rité des autres est la condition de la nôtre. Un bon client est un client qui })aie, et d'autant meilleur qu'il paie mieux. Il n'y a pas de procédés artificiels jjour développer, pour restreindre ou pour régler le mouvement de la population ; naturellement il se proportionne aux moyens d'existence et à l'idée que l'on se fait du minimum nécessaire de la vie normale. En somme, tout s.e réduit à respecter la liberté et à améliorer les hommes. UN ECRIVAIN CELEBRE A DIT QUE, LORSQU IL SONGEAIT AUX GUERRES ENTRETENUES, EN AFRIQUE, POUR FAIRE DES PRISONNIERS DESTINÉS ENSUITE A CULTIVER LA CANNE EN AMÉRIQUE. . . , IL POUVAIT A PEINE REGARDER UN MORCEAU DE SUCRE SANS SE LE REPRÉ- SENTER TACHÉ DE SANG HUMAIN. s'iL AVAIT AUSSI PENSÉ AU SANG DES BLANCS RÉPANDU PAR LES DIFFÉRENTES NATIONS QUI SE DISPUTENT LA POSSESSION DE CES ILES, IL AURAIT VU LE MORCEAU DE SUCRE NON PAS TACHÉ, MAIS ENTIÈREMENT IMBIBÉDE SANG. FRANKLIN. Colonies. Yl L m'est arrivé, plus d'une fois, hélas ! soit comme publiciste, j I soit comme député, au temps où le suffrage universel m'a- v) vait donné le droit d'intervenir dans la direction des affaires publiques, de combattre la politique extérieure du Gouvernement et notamment sa politique dite coloniale. J'ai Voir mes discours à la Chambre des députés, à propos du Tonkin et de Madagascar. 1 1 1» COLOSIE S été, à co sujet, doiionco ct)iniiuî un adversaire de l'expansion de rinllueuce et de la puissance ^militaire et commerciale de mon pays. J'ai la prétention d'en être, au contraire, un par- tisan convaincu, et fout s|)écialement d'avoir mieux travaillé au développement du domaine colonial de la France que les grands avaleurs de territoires iiuligérables que j'ai combattus. ('/est qu'il y a, comme le disait le Médecin malgré lui de Molière, bûcheron de son métier, et capable de s'y connaître, fagots et fagots. Il y a de même (et les Turgot, les J.-B. Say, les Charles Comte, les Basliat, les (^obden et les autres, qui s'y connaissaient, eux aussi, ont eu l'occasion de le dire) colonies et colonies. Il y a les colonies qui rapportent et les colonies qui coûtent; les colonies naturelles et les colonies artificielles, les colonies indépL'udantes et les colonies asservies, les colonies émancipatrices et les colonies oppressives. Ce sont les der- nières, malheureusement, dont s'engouent les hommes d'Etat à courte vue, et dont se laisse séduire la foule irréiléchie, parce qu'elles représentent sur la carte une extension de territoire et un apparent agrandissement de puissance matérielle. Ce sout les secondes seules qu'approuvent et conseillent les patriotes éclairés, les philantropes sincères et les politiques avisés. Qu'e.st-ce, au fond, qu'une colonie, et comment l'idée est-elle venue aux hommes de quitter en plus ou moins grand nombre et d'une façon plus ou moins durable leur pays d'origine? Tantôt ce sout des voyageurs isolés qui, par une raison ou une autre (curiosité, hasard, entraînement d'une course), vont s'établir dans un pays nouveau, et, s'y trouvant bien ou moins mal, y attirent des parents ou des amis ; tantôt des commer- çants, petits ou grands, colporteurs ou navigateurs, qui, en cher- chant des marchés de vente ou d'achat, découvrent des terres nouvelles y créent des relations, des comptoirs et finissent par y établir leur séjour ou y installer leurs représentants ; tantôt, si, chez eux, la population se développe au point de rendre la vie difficile, des jeunes gens aventureux, des essaims, quittent, comme les abeilles, la ruche-mère pour aller former au loin une petite patile, qui parfois, comme Carthage, fille de la Phéuicie, ou les exilés d'Angleterre chassés par la persé- cution religieuse, deviennent de grandes nations, égales à la eouche d'où elles sont sorties ; tantôt enfin des expéditions guerrières et conquérantes, des expéditions de proie et de pil- lage, comme celles des Certes, des Pizzare, et comme de plus récentes, hélas ! allant, sous prétexte d'agrandir la puissance de la patrie, s'emparer d'espaces lointains, soumettre et oppri- L A vu: ECONOMIQUE 120 mer les indigènes, et, comme Tout fuit les puissances euro- péennes :i l'envi, essayant, par l'impôt, par le travail forcé, et par des lois de douane qui leur constituent des marchés réser- vés, de pomper à leur profit Jtoute la substance de la terre et de ses. habitants. Tout cela, petit ou grand, ce sont des colonies, mais de caractères différents. On sait, ou plutôt trop peu de personnes savent ce qu'oiit été les dernières, et quelles déceptions en sont résultées pour les con- quérants comme pour les conquis. Système absurde en même temps qu'odieux, a écrit Michelet, ruinant les pays, supprimant les hommes, détruisant, avec la race faite pour le climat et le sol, l'agent naturel de culture et d'industrie ; introduisant, pour remplacer cette race infortunée, la lèpre de l'esclavage des nègres, et, finalement, aboutissant à une série de guerres inter- minables et à la perte de presque tout le domaine conquis. La France, l'Espagne, l'Angleterre, pendant trois siècles, tandis qu'elles se déshonoraient par la traite des noirs et l'esclavage, n'ont cessé de se déchirer, en se disputant la possession des îles et des parties de continent qui les tentaient. Et Franklin a pu dire, faisant allusion à ces conflits, que si l'on se donnait la peine de réfléchir, on ne pourrait pas regarder sans horreur un morceau de sucre, tant on le verrait imbibé de sang et de larmes. Pour les métropoles, c'était un métier de dupes, en même temps qu'une politique de violence et de rapine. Les frais de garde et de défense dépassaient à tel point le profit prétendu du commerce, que Charles Comte, Cobden, J.-B. Say et Dunoyer ont pu dire que si l'Angleterre donnait pour rien à ses colonies toutes les marchandises qu'elle leur vendait en renonçant à ce qu'elle faisait pour les garder, elle y trouverait un gros béné- fice. Quant aux colons, considérés comme des serfs, condamnés à fournir la métropole et à se fournir chez elle, le régime qui leur était imposé était tel, d'après les anciens auteurs, que, dans les colonies américaines, qui ont fini par se révolter contre cette exploitation sans merci, il était interdit, malgré l'abondance des moutons, de porter d'autres étoffes de laine que celles ache- tées en Angleterre. On ne tondait les troupeaux que pour les rafraîchir. Les meubles et ustensiles de ménage, à côté des forêts qui pourrissaient sur pied, devaient venir d'Europe, et d'Europe aussi jusqu'aux balais de bouleau. Voilà, dans toute sa rigueur et sa naïveté, le système colonial : possession de territoires condamnés, par une législation exceptionnelle, à I:.M COfMNIES servir de vaches à lait au coininerce et j\ l'industrie dv la métro- pole, et, en réalité, sanj^sues qui l'épuisent jusqu'au jour «où », coiuine Turgot le prédisait dès 173.'{, pour les colonies du nord de l'Amérique, « elles secouent un joug humiliant et ruineux ». L'Angleterre (il faut le reconuaitre), sans être encore entière- ment gagnée à la doctrine lie la pleine liberté et de hi pleine justice envers ses possessions lointaines, a fini par comprendre la fausseté de cet ancien système, et, depuis un demi-siècle au moins, en même temps qu'elle se faisait le champion de la liberté des noirs, elle a renoncé à la politique des marchés réser- vés, et demandé sa prospérité à la liberté et à la concurrence. <( Notre conduite à l'égard de nos colonies, » disait, en 1859, lord John Russell. « doit tendre à les mettre en état et en désir de se passer de nous. » Ce qui n'empêche pas. hélas ! que bien des abus n'aient été, depuis cette époque, commis dans les pos- sessions anglaises. Et l'exemple de la nouvelle politique britan- nique n'a pas encore converti le reste du monde. Nous conti- nuons à trop croire, à peu près partout, que la grandeur des nations se mesure à l'étendue de leur territoire soit central soit lointain, et nous sommes trop disposés à considérer et à traiter comme inférieures, non seulement en développement industriel et scientifique, mais en valeur morale et en droit, les populations de ces teri'itoires plus ou moins violemment ou honnêtement annexés. Qui ferait le compte de ce qu'ils nous ont coûté et nous coûtent annuellement en armements, en navires, en administration, en sang national et en sang indigène, en habitudes vicieuses aussi, malheureusement, et corruption, reculerait épouvanté. Combien, pourtant, serait-il facile de mul- tiplier et d'étendre partout, sans frais et saus danger, nos colo- nies ! On parle toujours de nos colonies d'ici et de là, que les étrangers nous jalousent, et dont l'entretien et la gai'de nous imposent pour quelque chose comme deux cents millions de dépenses par an. a et l'on oublie ». disait dans sa langue sobre et pittoresque ce grand marin qui les avait toutes vues et jugées, l'amiral Réveillère, « nos colonies de Londres, de Buenos-Ayres et de Mexico. » C'est bien le cas de dire, en nous rappelant le proverbe, que le bien ne fait pas de bruit. S'il suffisait, hélas ! d'ajouter, pour compléter l'antithèse, que le bruit ne fait pas. de bien! LA ME ÉCONOMIQUE 122 LES PEUPLES VOUS DEMANDENT DU PAIN; VOUS LEUR DONNEZ DES BALLES ET DES BOULETS, -j- -J- -f- -J- "t- -{- t" -^ -{• -:f- HENRY RICHARD. La Guerre. ^ A guerre est une folie, car, quel qu'en soit le résultat, ri elle est toujours une cause de ruine et de misère. De d^u^ misère et de ruiue actuelles, par les destructions qu'elle entraîne, les moissons ravagées, les maisons démolies ou incendiées, les ponts coupés, les usines détruites, les morts, les deuils, les maladies et les interruptions de travail et d'études. De ruine et de misère ultérieures, par l'insécurité qu'elle engendre, les craintes, les rancunes et les haines qui lui sur- vivent, et l'état de paix, ou « peur armée », comme disait le général Turr, qui fatalement s'ensuit, continuant, selon le mot de Bastiat, à consommer autant pour les digestions du monstre que pour ses repas, et fournissant, par la continuelle prépara- tion de la lutte, de nouvelles facilités et tentations de lutte ^. La guerre est funeste par la perturbation qu'elle apporte, et qu'apporte comme elle la paix armée, dans la répartition natu- relle des vocations et dans les habitudes des populations. Ce n'est pas en vain que la majeure partie de la jeunesse, à l'âge où se dessinent les carrières et se terminent les apprentissages, voit interrompre ses travaux et ses relations, et se trouve, par des fatigues excessives parfois, par les mauvais exemples sou- vent et par les entraînements de l'oisiveté, détournée de la régularité de la vie de famille ou d'atelier et engagée sur la I . Voici, d'après le rapport de M. Alfred Neymarck, présenté au Congrès de l'Institut International de statistique les chiffres officiels des dettes publiques européennes de la paix armée : i865 1870 1887 1908 milliards de francs Capital des dettes publiques européennes 66 76 117 i/i8 Service désintérêts 2.4 3 5.5 6 Dépenses militaires 5 3.5 4.5 6.7 « Depuis 1870, le capital nominal des dettes publiques européennes a doublé : i/i8à i5o millions contre 75 ; le service des intérêts elles dépenses militaires ont également doublé. C'est là ce que montrent les budgets : mais ils ne montrent pas tout. Ils ont des jeux d'écriture qui masquent la vérité. L'Europe, si elle ne change pas, marche fatalement à la guerre, à la révolution ou à la ruine ». [r.\ LA GUEliliE voie (les dissipations et des désordres. C'est, en tout cas, la partit' la plus saine et la plus vigoureuse de cette jeunesse qui, si malheureusenient elle est appelée sur les champs de bataille, est enlevée par la niurt, par les maiailies et par les inlirniités à l'entretien et au renouvellement normal de la race, abandon- nant aux éléments défectueux ou inférieurs le soiu de combler les vides. D'où un alVaiblissement de la natalité et un abaisse- ment de la (lualité. « C'est vrai. » avouent, ne pouvant fermer les yeux à l'évi- dence, les partisans de la guerre et de ce qu'ils appellent la grandeur militaire. « Mais quelle école de courage, d'énergie, de dévouement, de sacrifice et de mépris de la mort ! » Il est parfaitement vrai que la guerre, au milieu de ses hor- reurs, donne lieu parfois, souvent même, à l'exercice des plus nobles vertus. Mais la vie civile, dans son cours régulier, est- elle moins féconde en occasions de courage, d'endurance et de dévouement ? Le chauffeur sur sa machine, le mineur dans sa galerie, le marin sur son navire, le pompier au feu, le médecin à l'hôpital et au chevet du pestiféré ou du diphtérique, le physi- cien et le chimiste dans leur laboratoire, n'out-ils pas, bien souvent, des dangers analogues à courir, d'autant plus méri- tants, en somme, qu'ils n'ont pas. pour les soutenir et les élever au-dessus d'eux-mêmes, l'entraîuemeut de la lutte, l'exci- tation de l'exemple et la nécessité visible de défendre leur peau? Ceux-là, certes, aussi bien que le soldat que ses officiers mènent au combat, savent, non pas mépriser la mort (ce qui est mé- priser la vie, celle de ses semblables comme la sienne), mais sacrifier, quand le devoir le commande, leur vie pour la patrie et pour l'humanité. Les héros du champ de bataille sont grands quand, au lieu d'être, comme les Pizarre et les Cortez et d'autres plus célèbres, des oppresseurs et des détrousseurs de nations. ils sont de nobles défenseurs de l'indépendance et de l'honneur de leur pays ou de modestes serviteurs de la loi. Mais les héros de la paix, les héros volontaires et conscients de la science, de la liberté, de la justice, de l'humanité, ceux qui. pieusement, pour reprendre le mot de Victor Hugo, sont morts non pour la patrie seulement, mais pour la vérité, la justice et l'honneur ; ceux qui ont agrandi et anobli, pour eux et pour les autres, la vie et son emploi, ceux-là sont plus grands encore, et leur gloire bienfaisante l'emporte sur toutes les autres. Vivre bien et faire bien vivre, vaudra toujours mieux que tuer ou se faire tuer. Ai yih: iicdXdMKji'i': d24 j'ai vu la paix descendre sua la terre PORTANT DES FRUITS, DES FLEURS ET DES ÉPIS ah! DISAIT-ELLE, ÉGAUX PAR LA VAILLANCE, FRANÇAIS, ANGLAIS, BELGE, RUSSE OU GERMAIN, PEUPLES ! FORMEZ UNE SAINTE ALLIANCE ET DONNEZ-VOUS LA MAIN ! BÉRAWGER. Paix. — Patrie. — Humanité. « « ^ JE me demande s'il est bien nécessaire de consacrer un cha- pitre spécial à ce sujet ; si, en faisant le procès de la guerre, en montrant par combien de côtés l'esprit de jalou- sie, de cupidité et de violence torture et dégrade notre pauvre humanité, je n'ai pas suffisamment fait ressortir les avan- tages et la nécessité de la paix ; et s'il est bien utile de plaider une fois de plus, à cette place, une cause que je plaide tous les jours, ailleurs, par la parole, par la plume et par l'action ^. Les littérateurs, les poètes, les philanthropes, les hommes d'Etat dignes de ce nom et les directeurs d'âmes qui ne sont pas d'aveugles conducteurs d'aveugles, la plaident aussi sous mille formes. Et. s'il y a eu des artistes qui, parfois à juste titre, (car la guerre a eu ses héros), ont glorifié les grands faits d'armes, il y en a eu également qui ont glorifié les bienfaits de la paix. On voit, à Florence, parmi les plus admirables toiles des merveilleux musées de cette ville, deux tableaux du fa- meux Salvator Rosa, dont l'un représente la Paix brûlant les armes de la guerre ; et l'autre, la forêt des philosophes, dans la calme retraite de laquelle les sages, amis de la vérité et de la justice, méditent ensemble sur la destinée humaine et sur les moyens de l'améliorer. La paix, en effet, est la première con- dition de la vie et de son développement; et la nature entière, depuis le minéral, en apparence insensible et inerte, jusqu'à la plus haute manifestation de l'intelligence, a besoin de paix. C'est dans la paix que s'accomplit le travail mystérieux par lequel le I. Voir notamment Pour la Paix. Fasquelle. li,') PAIX. — PATltlE. — HUMANITE cristal se formo. La plante, pour Lrraiulir et s'enraciner, a besoin de re[)os, c'est-à-dire de paix. Les cdifices, pour sélcver et pour subsister, ont l)esoin de tran(niiiiité ; et c'est dans la longue patience rté de clioisir comme il te plairait l'emploi de tes ressources et la forme de tes mesures de prévoyance ou d'assurance; tu prends l'habitude, plus fâcheuse que tu ne le supposes, de la déptMulaiico et parfois de la servilité; tu men- dies comme une faveur et tu recrois comme un bienfait ce qu'il dépend de toi de te procurer par Ii naturelle vertu de la pré- voyance personnelle et de l'association volontaire : tu t'appau- vris et tu risques de laisser diminuer ta dignité. Et c'est pourquoi, si j'étais toi, je dirais a l'Etat, je veux direau Gouvernement qui le représente : « Donnez-moi, (je vous paie pour cela, et je ne vous marchande pas la note) la sécurité et la liberté ; protégez-moi contre les agressions extérieures et contre les violences intérieures; tenez à ma disposition, à toute heure, une police vigilante et une magistrature impartiale et rapide ; débarrassez-moi de tous les monopoles qui entravent mon activité et de toutes les mesures soi-disant protectrices qui enchérissent ma vie ; et laissez-moi me tirer d'affaii'e à ma façon et à mes risques et périls. Vous aurez assez fait pour moi le jour où, sciemment ou non, à bonne ou à mauvaise intention, vous ne ferez plus rien contre moi. » L'Etat idéal, ce serait un gardien impartial et vigilant de la sécurité et de la liberté des individus. L'autorité, que l'on op- pose trop souvent à la liberté, n'a d'autre raison d'être, au fond, et d'autre titre à notre[respect que son devoir d'être le bou- clier de la liberté. CE QU ON APPELLE LE PROGRES MATERIEL n'est que la forme EXTÉRIEURE DU PROGRÈS MORAL, f t t t t t t t Roger de FONTËNAY. La Loi du Progrès. Q ^ ^ J'AI cherché, dans les pages qui forment ce modeste volume, à indiquer, en termes simples et sans prétention, la solu- tion, la solution vraie, des différents problèmes de la vie sociale ; et partout, sous la complication apparente des ques- tions et à travers la contradiction des écoles et des formules, j'ai I LA VII': ECUNOMIQUE > 130 trouvé que cette solution, la même pour tous, au [fond, était simple et, à la condition de le vouloir sérieusement, à notre portée. Il s'agit tout uniment de répudier, une bonne fois pour toutes, les innombrables remèdes de la pharmacie sociale que nous vantent à l'envi, en se déchirant mutuellement, les empiriques et les médicastres qui vivent de notre crédulité et de nos erreurs, et de nous eu tenir, non pas précisément au| régime de l'eau claire, mais au régime de la liberté, du respect mutuel et, s'il est possible, de la bienveillance : de cesser de nous faire du mal àjnous-mêmes par ignorance, ou d'en faire à nos semblables, individus et peuples, par jalousie ou par cupidité. Il s'agit, en premier lieu, de l)ien employer notre temps et notre activité, par ^notre travail personnel ; puis de ne pas entraver, d'aider, au contraire, nos voisins, jusqu'aux plus éloi- gnés, dans leurs efforts pour faire comme nous bon emploi de leurs facultés et de leurs ressources. Il s'agit de comprendre que notre société locale d'abord, puis la société plus grande qui s'appelle la patrie, puis la plus grande patrie, qui est l'humanité, sont des corps dont toutes les parties sont soli- daires, et dont les membres, par conséquent, ne peuvent nuire aux autres sans se nuire à eux-mêmes, certains, d'autre part, de profiter de leur bien, comme ils les font, même inconsciem- ment, profiter de leurs propres avantages et de leurs propres succès. C'est-à-dire qu'il faut et, comme disent les mathématiciens, il suffit de voir juste 'et 'd'agir lojalement, de travailler en laissant travailler les autres, et de faire bon emploi des forces et des ressources nouvelles, constamment croissantes, que la science met à notre disposition. D'où, à mesure que le progrès matériel arme nos mains, comme il les arme à la fois pour le bien et pour le mal, comme la vapeur, l'électricité, les agents physiques et chimiques, les explosifs qui brisent les roches et exterminent les hommes, sont à nos oi'dres pour la besogne sainte comme pour la besogne maudite, l'obligationide savoir suffisamment diriger nos désirs et maîtriser nos passions, pour profiter de leurs bienfaits sans souffrir de leur révolte. Sans un progrès moral, égal et même supérieur, le progrès matériel est vain, s'il n'est pas funeste. T^^lbU ds^ l^s^Uièrgs Pages. Préface 5 L'homme dans le inondf 7 Le Travail 9 La Loi du inoiiulre effort 1 1 Production 13 Surproduction 15 Division du Travail 17 La Propriété 19 L'Héritage 24 Consommation. — Epargne 27 Epargner, c'est dépenser 30 Le Capital ...... 32 Intérêt. — Usure 36 Salaire 39 Le Marteau 42 Les INIachines 43 Le Commerce 46 La Monnaie 48 Time is Money 52 Le Crédit 53 La Concurrence 5^ L'Echange 61 Matières premières 64 La Balance du Commerce 68 Coopération 72 Participation 73 TABLE DES MATIERES 132 Le Luxe 77 La Misère 79 L'Assistance Hi Coalitions et Grèves 85 Les Trois-Huit ' 89 L'Assurance 93 L'Emploi de l'Impôt 95 L'Amortissement 98 Le Prix du Pain loi Spéculation . 103 Socialisme lo-j Solidarité iio Egalité 1:3 Si j'étais le Gouvernement 115 Le Nombre 117 Colonies 118 La Guerre 122 Paix. — Patrie. — Humanité 124 L'État 127 La Loi du Progrès 129 H ^ o^*^0 Paris. — Imp. Larousse, 13-17, rue Montparnasse. (T. L. 10-06.) ^^( HB 173 T3 Passy, Fr©(Jeric La vie économique PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY